Alors que le Covid et la crise économique mettent sous tension les budgets de la santé dans le monde, le marché du médicament a connu un retour à la normale dès le premier semestre 2021 dans les pays occidentaux. C’est l’un des constats de la dernière étude IQVIA360 « bilan 2021, prospectives du marché pharmaceutique, enjeux des données de santé », présentée par Edwige Bénis lors de la Matinale de la FNIM du 23 juin 2022, à l’Aéroclub de France à Paris. La directrice des activités de conseil et études de marché chez IQVIA France a ainsi évoqué les grandes tendances du marché post pandémie, les prospectives d’ici à 2025, les impacts de l’intelligence artificielle dans le secteur de la santé ou encore la place du citoyen à l’heure de la e-santé. Autant de sujets qui donnent le ton sur la dynamique de l’industrie pharmaceutique aujourd’hui et nous projette aussi dans un futur proche : rappelons que le secteur du médicament pèsera 1,7 milliards de dollars dans le monde, en 2025.
« Le Covid a changé la donne pour les systèmes de santé dans le monde, du point de vue des dépenses. » Edwige Bénis a ainsi amorcé son intervention lors de la dernière Matinale de la FNIM. La directrice des activités de conseil et études de marché chez IQVIA France a pointé, ici, les conséquences immédiates de la crise sanitaire. À savoir : « Les tensions dans les hôpitaux ou encore l’ultra vaccination. » Avec des dépenses supplémentaires cumulées, pour le vaccin Covid-19, estimées à 250 milliards de dollars d’ici à 2026, au niveau mondial. Toutefois, peu à peu, « cela va évoluer à la baisse ». Et pour cause : « On apprend un peu plus chaque jour à vivre avec le Covid, ses contraintes et ses variants. », observe-t-elle. La situation se rééquilibre peu à peu. Et ce d’autant que l’industrie du médicament a plutôt bien résisté aux crises sanitaire et économique. Edwige Bénis parle d’une industrie « stable ». Avec l’oncologie, l’immunologie, le diabète et les anticoagulants, qui restent dans le « top 4 » des classes thérapeutiques. Quant aux autorisations de mises sur le marché de nouveaux médicaments, si celles-ci n’ont pas été retardées, « elles ont eu plus de mal à décoller en terme de ventes ». Preuves à l’appui avec les résultats de l’étude IQVIA360, intitulée « bilan 2021, prospectives du marché pharmaceutique, enjeux des données de santé », qu’Edwige Bénis a présentés durant cette Matinale de la FNIM.
Un « effet dynamiseur » en France
L’étude s’attarde sur le cas de la France. L’Hexagone où le marché des médicaments sur prescriptions s’est maintenu en 2021. Edwige Bénis parle d’un « effet dynamiseur » de la crise sanitaire. En revanche, l’automédication a été touchée, toujours selon l’étude IQVIA360. En effet, Edwige Bénis fait état de patients qui ont cherché des solutions alternatives « pour éviter de se rendre chez le pharmacien et ainsi prendre le risque de s’exposer au Covid ». Quant au marché hospitalier, les voyants sont au vert : en 2021, la consommation de médicaments intra-hospitalière a grimpé de 8,6 %, y compris pour la « liste en sus », où les traitements proposés sont pourtant plus chers. L’étude évoque, en outre, « une année exceptionnelle » pour les nouveaux produits. Avec des nouveautés qui ont dépassé les 100 millions d’euros en 2021, dont Kaftrio (traitement de la mucoviscidose) et Vyndaqel 60 mg (traitement de la cardiomyopathie congénitale).
Les Etats-Unis restent leaders à l’horizon 2025
Et l’avenir ? Faut-il le redouter ? L’étude IQVIA360 se veut plutôt optimiste et rassurante pour le marché du médicament à l’échelle mondiale. « L’industrie pharmaceutique vaudra 1,7 milliard de dollars en 2025 », prévoit-elle. À un bémol près : « La guerre en Ukraine et ses conséquences sur l’économie mondiale, dont la récession actuelle, n’ont pas encore été pris en compte. » Malgré cela, les États-Unis devraient rester leaders avec 39 % du marché en 2025. La Chine se maintient, elle aussi, dans une dynamique (12 % du marché), « sans être, toutefois, aussi attractive qu’avant le Covid », constate Edwige Bénis. Quant à la France, l’étude pointe « une légère croissance de 3 % à l’horizon 2025 ». Côté innovation scientifique, celle-ci va s’étendre à d’autres domaines thérapeutiques que la seule oncologie. L’étude IQVIA360 cite le développement de la médecine de précision et les tests moléculaires. Deux domaines d’avenir, car garants de meilleurs résultats pour les patients, de diagnostics précoces – « devenant parties intégrantes du traitement » -, de réductions de séjours hospitaliers, d’une augmentation de l’administration autonome… bref, autant de sources d’économies à la clé.
Vers un raccourcissement des cycles de développement d’un médicament
« La tendance est à la virtualisation des essais cliniques, complète Edwige Bénis. L’idée : éviter aux patients de revenir trop souvent à l’hôpital, par exemple en capitalisant sur les jumeaux numériques. » On tend ainsi vers « un raccourcissement des cycles de développement d’un médicament ». Un mouvement que la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer. La preuve : l’utilisation des solutions de R & D numériques ou à distance a grimpé de 25 % depuis le Covid. « La pandémie n’a pas changé l’orientation de la R & D, mais sa vitesse », commente Edwige Bénis. Elle ajoute que les décisions thérapeutiques assistées ou autres diagnostics menés grâce à l’Intelligence Artificielle (IA) vont changer la donne, rebattre les cartes : « L’IA ne prend pas la place du médecin. Par l’automatisation des tâches, elle libère du temps médical au profit du dialogue entre soignant et soigné. » Imagerie, prédiction des récidives, génomique… l’IA a sa place dans tous ces domaines. Et ce dans une perspective de performance et de qualité des soins, d’organisation des soins et d’efficience. « L’IA est un outil de démocratisation sanitaire grâce à une montée en compétences du personnel soignant, en faisant bénéficier de l’expertise jusqu’alors réservée à certains professionnels de santé. » Autre atout de l’IA : elle peut être à l’origine de l’émergence de nouveaux métiers, prenant en charge des tâches auparavant réservés aux seuls soignants. La limite de cette démonstration : « Pour concrétiser cette stratégie, des états généraux de l’IA s’imposent, pour bâtir un plan de priorités, une feuille de route. Mais aussi pour favoriser l’intégration de l’IA dans la société et garantir un climat serein pour le citoyen », détaille Edwige Bénis. Une liste d’impératifs encore impossible et impensable à concrétiser sans volonté politique.
Davantage de prévention et la présence intégrée des GAFAM
Selon l’étude IQVIA360, la prévention a le vent en poupe. Elle va et doit être de plus en plus encouragée. « Les gouvernements ont besoin que les citoyens travaillent plus longtemps pour maintenir les niveaux d’imposition. Ils vont donc soutenir les initiatives qui favorisent la santé de la société », explique Edwige Bénis. D’où une incitation à la responsabilisation du patient et autres interventions et campagnes de prévention dès l’école primaire. Quant aux GAFAM, d’ici à 2025, ils vont eux aussi trouver leur place dans le secteur de la santé. De quelle façon ? Grâce à leur expertise de « l’expérience client ». Un savoir-faire adapté et adaptable au secteur de l’assurance, à la gestion de données, à la prescription, à la téléconsultation… Amazon se positionne déjà sur toute la chaîne. Et d’autres vont suivre.
La croissance d’une médecine de précision
En marge de la crise sanitaire, la santé publique et la pratique médicale sont donc en pleine mutation. « Les cinq prochaines années vont apporter des changements majeurs pour les aires thérapeutiques, le développement et les opportunités commerciales », indique l’étude IQVIA360. Pour argumenter ce constat, elle s’appuie notamment sur l’ARN messager « très prometteur », la croissance d’une médecine de précision « avec de nouvelles capacités en diagnostic via les objets connectés », ou encore les innovations tels les biomarqueurs numériques. La révolution digitale est en marche. Plus que jamais. Un exemple : Ethypharm Digital Therapy (EDT) a lancé, fin mai 2022 en France, la première thérapie numérique, baptisée Deprexis, destinée à prendre en charge des patients dépressifs. Et ce, sans attendre un éventuel remboursement de ce traitement par l’Assurance maladie. À terme, une fois le corps médical informé de l’existence de Deprexis, le patient pourra s’inscrire, seul, sur la plateforme. Une bonne illustration de l’autonomisation du patient et de sa responsabilisation. Il veut se soigner, il doit s’impliquer a minima. Une nouvelle ère voit le jour. Le patient se fait citoyen. Il doit, en outre, gérer ses données de santé dans un cadre réglementaire qui se précise depuis le Covid. Le dossier médical partagé revient dans le débat. « Le tout encouragé par un écosystème french tech, à la fois large et riche en start-up », souligne Edwige Bénis. Elle ajoute : « Nous avons l’expérience et l’expertise en France. Le ministère de la Santé a de quoi s’emparer du sujet de l’IA. » Et ce même si les normes à appliquer sont encore complexes et qu’une résistance citoyenne sait se faire entendre. Car c’est l’ensemble de données récoltées qui permet d’avancer et non pas des informations individuelles.
Accès précoce ou compassionnel ?
« Il faut garder la confiance et accélérer l’implication citoyenne. Il s’agit de convaincre en apportant des garanties : rassurer sur l’anonymisation, expliquer la différence entre risque et probabilité, garantir la sécurité des données, mettre en œuvre des moyens numériques centralisés et faciles d’utilisation pour davantage de transparence sur l’usage de ces informations », rappelle Edwige Bénis. Des données à partager, ensuite, dans la « vraie vie » : une condition sine die pour répondre aux futures évolutions d’accès au marché. Un accès précoce ou compassionnel ? Le premier vise les médicaments qui répondent à un besoin thérapeutique non couvert, susceptibles d’être innovants et pour lesquels le laboratoire s’engage à déposer une autorisation de mise sur le marché. Le second concerne les médicaments pas forcément innovants, ni destinés à avoir une autorisation de mise sur le marché, mais qui répondent à un besoin thérapeutique non couvert. À propos de l’accès précoce, un bilan très positif vient d’être réalisé six mois après l’adoption du dispositif. Le caractère grave, rare et/ou invalidant des pathologies a été reconnu de manière unanime. Si bien que les produits ayant bénéficié d’un accès précoce se sont vus octroyer une AMSR III. On avance. On ne cesse de progresser. Seule « zone de tâtonnement », conclut Edwige Bénis : « La capacité à la collecte des données en vie réelle, son organisation, son financement et son évaluation vont devoir se structurer. Avec un cahier des charges des autorités beaucoup plus précis sur les modalités. Personne n’était préparé à cela, ni dans l’industrie pharmaceutique, ni chez les praticiens. » Peut-être un de ces « nouveaux métiers » ou missions à inventer.