À l’ère des réseaux sociaux, une information fait le tour du monde en moins de deux heures. Point positif : tout le monde peut voir, savoir, partager, échanger, partout et à tout moment. Le bémol : cette vitesse de propagation s’applique à la bonne comme à la mauvaise information. Au scoop comme à la « fake news ». Il faut donc faire le tri, hiérarchiser, éditorialiser. En particulier dans un cas de communication de crise. Car là, pas question d’envenimer un débat. Pas de place non plus pour l’argument non vérifié, non validé. Vigilance et fiabilité sont de mise. Mais comment s’y prendre ? Comment instaurer une veille ? Comment agir et réagir face à une crise ? Comment ne pas céder à la panique et de quelle façon appréhender une sortie de crise ? Autant de questions qui ont été posées à Fanny Gutierrez, spécialiste Web & médias sociaux au sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), lors de la Web Matinale de la FNIM du 19 octobre 2022. Un débat animé par Denise Silber, vice-présidente de la FNIM, fondatrice de Basil Strategies & Doctors 2.0 et de VRforHealth.com.
Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) : les chiffres qui comptent
À Genève, les HUG regroupent les 8 hôpitaux publics du canton, ainsi que 2 cliniques. Ils représentent ainsi le premier hôpital universitaire de Suisse.
Les HUG en 2021, c’est aussi 1,2 million de prises en charge ambulatoires, plus de 26 000 interventions chirurgicales, près de 250 000 urgences traitées et quelque 12 792 collaborateurs qui représentent plus de 150 métiers différents.
Enfin, sur les réseaux sociaux, les HUG comptent 409 000 abonnés et, au niveau du trafic, chaque mois ils affichent 3,6 millions d’impressions et pas moins de 826 000 vues sur les Web TV.
Communiquer dans le secteur de la santé publique, cela ne s’improvise pas. Fiabilité, vigilance, pertinence sont de mise pour assurer une information de qualité, juste, en phase avec les interrogations et autres inquiétudes, en particulier en cas de crise. Crise sanitaire, bien sûr. Mais pas que. Il suffit qu’une information, à haut risque de polémique, se propage sur les réseaux sociaux pour qu’une communication de crise soit nécessaire. Dans un tel contexte, il faut agir, réagir, vite de préférence, pour ne pas laisser la place à la rumeur. Pire : à de fausses informations. C’est ce qu’a expliqué Fanny Gutierrez, lors de la Web Matinale de la FNIM du 19 octobre 2022. Spécialiste Web & médias sociaux au sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), elle a une bonne maîtrise de cette communication de crise. Car elle était à la manœuvre notamment lors des périodes de confinement liées au Covid-19. En préambule à sa présentation face aux membres de la FNIM, elle a parlé de « compréhension d’une situation ». Autrement dit : face à une actualité forte, il faut identifier, voire analyser, en temps réel, les faits et les risques pour l’institution. Autre précaution : « Ne pas céder à la panique et savoir prendre du recul, même s’il faut réagir vite. » Il s’agit donc de déterminer le niveau de crise : Fanny Gutierrez fait, en effet, la nuance entre ce qui relève du « simple incident » et ce qui a tous les stigmates d’une « catastrophe institutionnelle ». Dans ce second scénario, elle parle de « communication proactive » : celle-ci consiste à « communiquer dès le début, avec des informations mises à jour », tout en étant disponible « pour répondre aux questions et inquiétudes du public comme à celles des journalistes ». Un parti pris où il faut à la fois expliquer et rassurer.
Être en veille
Une communication de crise réussie commence par un exercice de veille. Une veille et un éveil permanents à l’aide d’outils, « tel que la plateforme Radarly », a volontiers cité Fanny Gutierrez. L’objectif de cette veille ? « Vérifier les messages sur les réseaux sociaux, suivre les hashtags les plus pertinents, surveiller les groupes d’influence et les pages associées, garder un œil sur les acteurs clés, à l’instar des syndicats, des médias ou encore de certains détracteurs », détaille la spécialiste Web des HUG. Une veille qui permet de déceler le post qui peut amorcer un débat, une polémique, voire faire avancer une réflexion. Autant de possibilités qui vont déboucher sur une prise de parole de l’institution concernée. Avec des propos destinés à modérer la discussion. C’est-à-dire la nourrir tout en l’atténuant, l’enrichir sans renchérir.
Jouer la modération
Modérer, c’est tempérer. C’est aussi « répondre aux commentaires et aux questions dans les meilleurs délais », souligne Fanny Gutierrez. C’est enfin, « démentir les fausses rumeurs, rectifier immédiatement les erreurs, réorienter les internautes vers le lien d’information qui fait référence et, surtout, communiquer avec des faits avérés », poursuit la spécialiste du Web. Elle ajoute que l’institution remise en question doit répondre, voire se défendre, « en gardant une ligne officielle et en rappelant les mêmes messages ». Elle doit, en effet, maintenir une ligne de conduite, suivre un fil conducteur, assumer une position, un choix, quitte à être répétitive dans sa communication. Fanny Gutierrez insiste : « Il ne faut rien confirmer, ni infirmer, tant que les faits ne sont pas avérés. » La fiabilité des sources devient alors une condition sine qua non pour une communication de crise réussie. Pour illustrer ses propos, Fanny Gutierrez s’est appuyée sur deux exemples. Le premier : la gestion d’une menace d’attaque à main armée lors de Journées portes ouvertes aux HUG. « L’objectif, dit-elle, c’était de générer de l’affluence en présentiel et en ligne, grâce à une communication active et une veille. » C’est ainsi qu’un commentaire inquiétant, en masqué, a suscité la curiosité des « veilleurs ». Il s’agissait d’une menace d’attentat. « La réaction a été rapide, confie Fanny Gutierrez : une fois repéré, le commentaire a été isolé pour faire chuter sa visibilité et limiter sa diffusion. » Puis, les organisateurs des Journées portes ouvertes, comme le service de sécurité, ont été prévenus. Ce qui a permis de localiser le profil de l’auteur de la menace – une personne fragile psychologiquement -, sur le Web et les réseaux, d’évaluer le risque, puis de prendre la décision de renforcer le dispositif de sécurité à l’entrée du bâtiment et d’alerter les services de police. En aidant à identifier une menace et réagir face à celle-ci, les réseaux sociaux ont ainsi permis le maintien de ces Journées portes ouvertes pour les HUG. Quant au second exemple, cité par Fanny Gutierrez, il s’agit de « l’arrivée du premier patient Ebola dans les hôpitaux genevois ». L’objectif : répondre aux interrogations et aux craintes de tous. Le mode opératoire : une veille au plus près de l’actualité, puis la publication d’informations et de vidéos explicatives – pour le grand public et la presse - sur les différentes mesures mises en place. L’idée étant de créer à la fois « une réaction rapide à une rumeur imprévue, inattendue » et « une relation de confiance avec la communauté ». Le secret de la réussite de cette communication de crise ? « Nous avons su anticiper. Car plus on anticipe, mieux on est préparé, riche en informations et éléments de réponses, face à une crise », souligne encore Fanny Gutierrez.
Sortir de la crise
Une fois la crise gérée, maîtrisée, il s’agit de mettre un terme à l’action de communication. Comment s’y prendre ? « On surveille les volumes et on modère, répond Fanny Gutierrez. Puis, quand les messages se font de plus en plus rares, on arrête la veille. » Toutefois, si la crise est conséquente – type crise sanitaire… -, « la direction générale des HUG prend le lead sur la cellule de crise ». Elle est alors en direct avec les services hospitaliers concernés par la crise en cours et, là aussi, c’est l’appauvrissement du flux de commentaires qui va sonner le début d’une sortie de crise. « Attention, prévient Fanny Gutierrez : toutes les actualités, même brûlantes, ne font pas l’objet d’une communication de crise. Actuellement, à Genève, les cas de grippe sont à la hausse, mais tant que l’on n’a ni interrogations, ni craintes de la part des habitants, nous ne sommes pas en gestion de crise. » Par ailleurs, en marge des reportings mensuels, les HUG se sont dotés d’un dispositif pour connaître la tonalité de chaque message déposé sur leurs réseaux sociaux. Ainsi sur les 2 500 commentaires d’internautes reçus chaque mois, 5% seulement sont négatifs, 15% positifs et 80% qualifiés de « neutres ». Dans cette même veine, les pics d’audience sont observés afin de savoir quels types de sujets suscitent des réactions à propos des HUG, sur les réseaux sociaux. De quoi permettre, à terme, d’affiner certains messages pour expliquer et rassurer en période de communication de crise. Enfin, au sein des HUG, certains professionnels de santé peuvent se former à l’usage de Twitter, Facebook, LinkedIn… Il existe ainsi une trentaine de comptes liés aux différents services des hôpitaux genevois, pour les médecins qui souhaitent développer des communautés. C’est le cas notamment pour le don du sang ou pour le Centre du sein. Quant à TikTok, les HUG viennent de créer leur compte. L’idée : toucher le plus jeunes, en leur présentant tous les métiers recensés à l’hôpital. Il y en aurait plus de 150 : de quoi susciter quelques vocations.
À savoir : Le site Web des HUG, dans sa rubrique « Médias sociaux » propose deux pages de bonnes pratiques des réseaux sociaux. À consulter sans modération.