Tout au long de cette année 2024, la FNIM s’interroge et interroge sur la place de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la communication santé. Un nouveau volet a permis d’aborder les performances de l’IA quant à la veille et la rédaction de synthèses scientifiques. Quelles solutions existent ? Comment ça marche ? Les utilisateurs sont-ils satisfaits ? Combien ça coûte ?... Autant de questions qui ont été posées lors de la Matinale de la FNIM du 23 octobre 2024, organisée dans les locaux du Roof Top Grenelle, à Paris, et en visioconférence. Pour apporter des éléments de réponses, deux experts, à la tête d’entreprises françaises innovantes, ont fait état de leurs retours d’expériences : le Dr Nicolas Gatulle, anesthésiste-réanimateur, formé à l’IA, également co-fondateur de PaperDoc, et Sylvain Massip, CEO et co-fondateur de la société Opscidia. Une matinée de réflexions et de débats animée par Denise Silber, vice-présidente de la FNIM et fondatrice de Basil Strategies, avec la participation d'Emmanuelle Pierga, présidente de Tandem Com Santé.
« Le nombre de publications scientifiques est en constante augmentation depuis ces 40 dernières années. » D’emblée, Denise Silber, vice-présidente de la FNIM et fondatrice de Basil Strategies, donne le ton. Un seul chiffre, qui en dit long : aujourd’hui, en une année, une dizaine de millions d’articles scientifiques sont publiés dans le monde, dont 400 000 simplement dans le domaine de la cancérologie. Rien que la base de données médicales en accès gratuit PubMed, qui a vu le jour en 1996 aux États-Unis -« sous l’impulsion de Bill Clinton et Al Gore », rappelle Denise Silber -, recense, à elle seule, quelque 38 millions d’articles. À l’instar de UpToDate, DynaMed ou encore Cochrane, PubMed fait désormais partie des plateformes de première génération. Depuis, une deuxième génération a vu le jour, avec notamment Mendeley, créée en 2008 et racheté par le groupe Elsevier en 2013. Un vaste marché international au sein duquel quelques Français parviennent à se hisser. « Et il faut un certain courage pour relever ce défi », souligne Denise Silber. C’est le cas de Nicolas Gatulle, anesthésiste-réanimateur – toujours en exercice –, spécialiste de l’IA et co-fondateur de PaperDoc, ainsi que de Sylvain Massip, physicien de formation, mais aussi CEO et co-fondateur de la société Opscidia. Tous les deux étaient les invités de la dernière Matinale de la FNIM, durant laquelle ils ont présenté leurs outils de veille et de synthèse médicale.
PaperDoc et sa base de données de 220 millions d’articles
« Quand on est médecin, on se doit de mettre ses connaissances à jour. Sauf que l’on fait face à plus de 3 millions d’articles publiés, chaque année, dans les meilleures revues et la connaissance médicale double tous les 73 jours. Autrement dit : il faudrait lire 19 articles par semaine pour espérer rester à jour. Or c’est impossible, faute de temps entre les obligations administratives et autres journées à rallonge », explique Nicolas Gatulle. Résultat : « 70% des praticiens ne mettent pas à jour leur savoir et 50% déclarent cette tâche lourde et chronophage », ajoute-t-il. D’où la création en 2021 – durant l’internat de Nicolas Gatulle - de PaperDoc. Signe particulier de cette solution : sa base de données de 220 millions d’articles, issus du moteur de recherche Semantic Scholar,qui englobe les données de PubMed. Une solution où le service « Archie » invite à émettre une requête, dans la langue de son choix, par mots clés ou sous forme de conversation, pour obtenir des liens et une synthèse des articles les plus pertinents. « Archie s’apparente à un assistant de recherche, boosté par l’IA », commente Nicolas Gatulle. Les réponses ? Ce sont, par exemple, des fiches explicatives, structurées, validées et sourcées, en lien direct avec la demande émise. Quant au service « Mes actualités », lui aussi doté d’une IA, il propose des recommandations personnalisées de publications scientifiques, en fonction du profil et des centres d’intérêt de l’utilisateur.
Chasse aux hallucinations et importance du sourcing
« Face aux craintes de certains, nous jouons la carte de la transparence », précise Nicolas Gatulle. De quelle façon ? « Grâce au développement de modèles d’IA qui limitent les hallucinations. » Autres garde-fous : « Le sourcing des données et la formation de nos partenaires à l’IA, pour qu’ils comprennent comment ça marche. » Une fois PaperDoc apprivoisé et adopté, la liste des possibilités est longue. En effet, on peut aussi bien résumer des articles scientifiques - en français ou en anglais - que repérer les informations les plus pertinentes d’un article, puis les synthétiser, ou encore personnaliser une veille. Le tout avec une inscription gratuite, des crédits d’IA et un abonnement mensuel de 5 à 15 euros par mois, pour les particuliers, et des offres sur mesure pour les entreprises. « Actuellement, nous avons plus de 25 000 utilisateurs en France et dans le monde, dont 5 000 utilisateurs qualifiés », détaille Nicolas Gatulle. Et ce n’est qu’un début. Car les équipes de PaperDoc développent de nombreux partenariats, dont un avec le groupe de cliniques Ramsay Santé. Mieux encore : de nouveaux services sont en cours d’élaboration. Parmi eux, citons la création de contenu fiable ciblé et sourcé, l’aide à la réalisation de statistiques ou encore l’ouverture à d’autres domaines que celui de la santé.L’objectif de Nicolas Gatulle : « Proposer des solutions pour gagner en temps et, donc, en productivité. »
La plateforme Opscidia née d’une « frustration »…
« Lorsque j’étais directeur R&D d’une start-up, je n’arrivais pas à suivre l’actualité des domaines des quatre experts avec lesquels je travaillais. C’est de cette frustration qu’est née la plateforme Opscidia », raconte Sylvain Massip. Or, poursuit le docteur en physique, « cette information scientifique a une véritable valeur pour les entreprises ». Opscidia a vu le jour en 2019 avec de premiers « cas d’usage » de transformation digitale, qui se sont concrétisés notamment par de la veille pour la Commission européenne (CE) ou encore pour l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). « À partir de ces travaux, nous avons pu bâtir une plateforme dont l’ambition est de s’adapter à des cas d’usage très divers en termes d’utilisation de l’information scientifique : création de contenu, rédaction d’une note de synthèse ou de rapport d’évaluation clinique… Les exemples d’applications ne manquent pas », explique Sylvain Massip. Aujourd’hui, Opscidia compte une quarantaine de clients, dont certaines majors du CAC 40 et plusieurs sociétés du secteur de la santé. « Notre plateforme d’informations scientifiques identifie un thème, l’analyse et le synthétise. Le tout grâce à notre propre base de données, constituée de quelque 200 millions de sources scientifiques prétraitées », détaille le physicien. Il précise : « En pratique, pour que les supports créés par nos IA génèrent le plus de valeur possible pour l’utilisateur, nous lui permettons de personnaliser la plateforme en fonction de son cas d’usage et de vérifier l’information. Autrement dit : l’IA propose, l’utilisateur dispose... Nos utilisateurs sont des experts de leur domaine, leur expérience et leur intuition sont irremplaçables. Notre travail consiste à combiner cette expertise avec les avantages de l’IA. À savoir : une capacité à pouvoir analyser de grands volumes de documents et à rédiger rapidement des contenus clairs, agréables à lire. »
L’IA ne remplace personne
« L’IA au service de l’expertise scientifique permet d’extraire l’information de documents complexes, apporter des réponses cohérentes et sourcées, générer des supports personnalisés et sécuriser les données », résume Sylvain Massip. Tout comme avec PaperDoc, le résultat obtenu est avant tout un gain de temps dans la création de contenus, l’identification d’une documentation scientifique pertinente et la synthèse d’un ensemble de documents en un résultat concis, précis et percutant. Dans le détail, la plateforme Opscidia crée, dans un premier temps, une bibliographie que l’on peut ajuster avant sa validation. Puis l’IA propose un plan et des titres de section, que l’on peut également affiner avant de les accepter. Enfin, l’IA rédige et génère la synthèse, mais l’utilisateur garde la main, une fois encore, pour compléter, corriger, actualiser. Sylvain Massip parle, en outre, d’une « traçabilité », qui permet de limiter les mauvaises surprises, en termes de résultat. Nicolas Gatulle, pour sa part, rappelle que ces solutions facilitent « l’accès à l’information », « y compris aux fiches médicamenteuses, grâce à des partenariats notamment avec l’industrie pharmaceutique ». Dans cette même veine, des partenariats peuvent également se développer avec les agences de communication santé. Ce que fait déjà PaperDoc, en proposant « la simplification du processus de rédaction d’un article ». Mais que les patrons d’agences de com’ se rassurent : « Nous ne faisons qu’aider à accélérer la rédaction, nous ne remplaçons personne », insiste Nicolas Gatulle. Même philosophie du côté de Sylvain Massip : « Les IA ne prennent pas de décisions. L’humain reste la référence. Chez Opscidia, nous identifions le cas d’usage et nous voyons comment utiliser nos briques pour y répondre, mais la parole du sachant demeure. Si 80% d’un texte peut venir de l’IA, les 20% restants relèvent de l’apport de l’expert. Or ce sont ces 20% qui, au bout du compte, vont faire la différence. »