La « vieille » notion de service au client, ce pilier du marketing de l’ancien monde, Ralph Hababou, fondateur du cabinet PBRH Conseil et invité de notre dernière matinale, l’analyse depuis 30 ans à travers des ouvrages au succès retentissant : Service compris (1987, 500 000 ex), Service gagnant (2007) et en 2017, Service gagnant 3.0*. Le service, mantra poussiéreux d’un monde révolu ? Certainement pas. Il y a 30 ans, on disait que les clients heureux font les entreprises gagnantes – aujourd’hui, dans l’univers digital, c’est encore et plus que jamais le cas. Encore faut-il bien maîtriser l’idée fondamentale de l’expérience client.
Le service client, une notion en évolution
« Si en 1987 l’idée de service rendu au client était une priorité évidente, 20 ans plus tard, elle a tendance à s’effacer devant la seule chose qui intéresse les clients : le prix. Durant les années 2000 apparaît le phénomène du low cost (Easy Jet, Logan) qui balaie la notion de service, tandis que ce qu’on appelait la high tech ou NTIC (on ne parlait pas encore de 2.0) tentait de défendre les marges des produits en s’appuyant sur la qualité et l’innovation. Et aujourd’hui ? Uber, Blablacar, Airbnb, Drivy, Homelidays etc, comment toutes ces plateformes apparues il y a moins de 10 ans envisagent-elles le service au client ? En étudiant de près leur fonctionnement, on note que le service au client constitue pour elles un axe fondamental : quand une start up s’exprime sur 1 cm2 de l’écran d’un smartphone – ce qui constitue sa vitrine – elle n’a pas d’autre choix que d’être au top du service ».
Bref retour en arrière
« Le 29 juin 2007, Steve Jobs présentait officiellement l’iPhone en prononçant cette formule définitive : « Votre vie dans votre poche ». Il venait d’inventer le smartphone avec sa navigation fluide et intuitive, compagnon indispensable d’un quart des humains. A l’aube des années 2000, autre révolution, apparaît le web 1.0 avec les premiers moteurs de recherche : pour la première fois, on a le pouvoir de s’informer par nous-mêmes et non plus par des intermédiaires (presse). Grâce au web 1.0, nous sommes devenus des consommateurs informés. En 2005, on assiste à l’avènement des réseaux sociaux avec le web 2.0 doté d’une dimension plus visuelle, plus émotionnelle : le consommateur est dès lors mobilisé (événement du printemps arabe). Depuis 2015 règne le web 3.0 qui se traduit par l’internet mobile, lui-même basé sur la gestion des datas : nous avons le droit d’être prescripteur avec Tripadvisor, chauffeur avec Uber, hôtelier avec Airbnb, banquier avec Leetchi, médecin avec Doctissimo… On parle alors de consommateur augmenté. Le 3.0 procure au consommateur un pouvoir qu’il n’a jamais eu dans l’histoire économique ».
Ubérisation et expérience client
« Internet a tué notre bon vieux marketing. Comment ? Internet condamne sans appel les intermédiaires sans valeur ajoutée tels que disquaires, agences de voyage, libraires, chasseurs de tête, banquiers, et même enseignants (effet mooc). Conséquences : d’abord, les experts, c’est nous ; ainsi lorsqu’un client se rend chez un concessionnaire automobile, il en sait plus sur le produit que le vendeur ; ensuite, l’univers concurrentiel se transforme : le pire ennemi d’Ikea n’est plus un autre fabricant de mobilier à monter soi-même, mais leboncoin.fr, le pire concurrent de la SNCF est le covoiturage ; enfin, tout est gratuit. Résultat, des géants du 3.0 ont éclos en quelques années : les GAFAM (n’oublions pas Microsoft) bien sûr, mais aussi les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) ou en Chine les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi : c’est en Extrême-Orient que se situe l’avant-garde de l’innovation digitale) – tous maîtres de l’économie 3.0. Ce qui frappe, c’est la vitesse de changement des business models : comme le confiait Maurice Lévy, ex patron de Publicis, au Financial Times en 2014, « tout le monde a peur de se faire ubériser. C’est l’idée qu’on se réveille soudainement en découvrant que son activité historique a disparu… Les entreprises n’ont jamais été aussi désorientées ou inquiètes au sujet de leur marque et de leur modèle économique ». Hôtellerie, transports, tourisme ont été pulvérisés par ce phénomène d’ubérisation. Les entreprises traditionnelles et leur marketing auraient-elles perdu tout contrôle ? Non. Personnellement, je n’ai aucun contrôle sur l’algorithme de Google qui me conseille tel restaurant par rapport à tel autre ; en revanche, ce que je peux encore contrôler, c’est l’expérience client, l’UX (User Expérience), soit le service au client mis au goût du jour : l’expérience client n’est pas seulement ce qu’on apporte au client, c’est ce qu’il va vivre par lui-même ».
Le cri du client enthousiaste
« Pendant longtemps on a parlé de la satisfaction du client comme but ultime d’une entreprise commerciale. Aujourd’hui, cela ne suffit plus, l’objectif étant d’avoir un client enthousiaste qui pousse alors le cri du bonheur – Ouaouh ! Quel est de nos jours le phénomène capable d’accélérer les ventes ? C’est la recommandation. Prenons le modèle Tripadvisor : il s’agit de gens comme vous et moi, qui passent quelque temps dans un hôtel et qui donnent leur avis, ce qui a beaucoup plus de valeur que les conseils de tous les experts. Quand l’indice de satisfaction (ou d’enthousiasme) grimpe non pas à 7 ou 8/10, mais à 9 ou 10/10, c’est gagné pour l’hôtel en question. L’objectif de l’hôtel est atteint, à savoir faire des clients des super vendeurs, des véritables promoteurs dont l’arme fatale est la recommandation ».
Les 4 piliers fondamentaux du business model des plateformes
- 1) L’expérience client (customer user expérience) est une priorité, avant même le service, et peut se définir ainsi : faciliter l’accès et l’expérience – ce qui est nouveau relativement à l’approche traditionnelle de la « promotion du produit ».
- 2) La notation et l’évaluation croisée : on demande au client d’évaluer le service reçu tandis que le prestataire évalue le client à son tour. La notation envahit notre quotidien jusque dans des activités plutôt réservées telle que la santé : un chirurgien, donc un expert, se fera évaluer au même titre qu’un hôtel ou un loueur de véhicule. L’effet du service gagnant 3.0 est là : le service médical équivaut à celui de n’importe quelle autre offre commerciale. En tant que consommateur augmenté, on a le droit de juger qui l’on veut, y compris les « intouchables » comme les médecins.
- 3) La simplicité d’utilisation, notamment la facilité de paiement selon le principe : invisible is cool.
- 4) L’exploitation de la donnée client (big data) avec la vision 360°, qui sera cette année tempérée en Europe par la RGPD ».
Les grandes intolérances du client
- 1) « L’attente, devenue insupportable.
- 2) L’effort. On se met à notre place, on nous propose des produits qui correspondent à nos goûts et il suffit d’un clic pour les acheter – ce qui du coup supprime un autre effort, celui de payer (paiement fluide, sans heurt, quasiment invisible : invisible is cool !).
- 3) La tendance à la standardisation. Toute proposition doit être personnalisée malgré la réticence à confier des données personnelles ».
Les 7 commandements du service client à l’heure du digital
- 1) « Des plateformes, tu t’inspireras. L’innovation se trouve dans les plateformes : chez Uber, par exemple, il n’y a pas de numéros de téléphone, ni d’email, tout passe par la plateforme.
- 2) Omnicanal, tu seras.
- 3) Mobile first, tu deviendras.
- 4) Au messaging, tu te prépareras.
- 5) Les chatbots, (robot vocal) tu testeras.
- 6) La mesure, tu généraliseras. C’est la notation du client qui mène la danse.
- 7) L’humain, tu n'oublieras pas. Plus que jamais, dans ce monde du digital, on a besoin d’avoir un contact et une relation humaine.
Bienvenue dans l’économie 3.0 ! »
Propos recueillis par Denis Briquet
*Tous ces ouvrages sont parus aux éditions First, sauf « Service compris » aux éditions JC Lattès.