Comment définir ce qu’on appelle communément un « patient expert », ou encore, plus précisément, un « patient ressource » ou un « patient référent » ? Eclaircissements en compagnie de Myriam Jabri, responsable Affaires publiques et relations Patients (Pfizer) ; le Pr André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie à l’hôpital Pitié Salpêtrière ; Marc Dixneuf, directeur général de Aides ; Eric Salat, patient expert, ingénieur pédagogue, Coordinateur des Enseignements de l’université des Patients Sorbonne, chargé de cours à l’ESCP Europe et directeur de thèse. La table ronde était animée par Emmanuelle Klein et Eric Phélippeau.
Eric Salat : « Je précise d’abord que je ne suis pas expert en médicaments, mais expert de la place du patient dans l’organisation des soins. L’expression même de patient expert me gêne quelque peu. D’un point de vue juridique, il n’y a que trois domaines où nous intervenons : le premier domaine est lié à la loi Hôpital Patient Santé Territoire de 2009 et à ses décrets d’application qui définit la présence potentielle de personnes malades dans les programmes d’accompagnement et d’éducation thérapeutique avec une certification de 40 heures ; le deuxième, moins connu mais plus en avance, a trait à la santé mentale avec les « médiateurs pairs » qui sont des personnes malades possédant une certification (et parfois exerçant une profession avec rémunération à la clé) ; le troisième concerne les représentants des usagers, hors maladie, pour l’ensemble du système de santé français. Dans deux cas de figure – celui de patient accompagnant dans les programmes d’ETP et celui des représentants d’usagers – il n’est en aucun cas question de percevoir une rémunération (ni même d’indemnisation). Depuis 2009, les parlementaires se sont toujours opposés à ce que le temps passé par un malade auprès de ses pairs soit rémunéré ; par ailleurs, le système de prévoyance/reclassement/indemnisation interdit dans la majorité des cas aux patients experts de toucher une rémunération. C’est un fait juridique majeur et qui est malheureusement ignoré par beaucoup de gens qui, par là-même, prennent des risques ».
Marc Dixneuf : « On est satisfait chez Aides que le terme de patient expert (même si j’ai les mêmes réserves qu’Eric) et que la formation existent. Chez Aides, l’idée est que les personnes se mobilisent pour elles-mêmes, et acquièrent une connaissance individuelle de la vie avec la maladie, connaissance qui donne une compétence. Cette compétence sera, au sein d’un groupe, complétée par d’autres savoirs : c’est collectivement que l’on va définir des orientations, des politiques publiques. Parmi les trois domaines évoqués précédemment, Aides a fait le choix de mettre l’accent sur la démocratie sanitaire : ainsi l’investissement de Aides sur la place (ou la parole) du malade dans le système de santé s’est porté sur la structuration de France Asso Santé, par exemple. Sur le point de la rémunération de la personne ou des organisations, il y a en effet un problème majeur. Dans des organisations comme Aides (480 salariés et plus de 800 volontaires) il y a des volontaires dont l’état de santé a conduit à la cessation d’activité. Ils apportent des contributions notables qui ne peuvent être rétribuées d’aucune manière ».
Myriam Jabri : « Chez Pfizer, nous souhaitons que le patient soit partie prenante de nos réflexions. Nous attachons une grande importance à l’expérience et aux besoins des patients. Jusqu’à il y a une dizaine d’années nous nous efforcions de comprendre l’expérience des patients à travers le regard des professionnels de santé, maintenant nous nous tournons directement vers les représentants des patients via les associations ou patients experts. Si l’objectif de l’industrie pharmaceutique a toujours été « patient centric » par le développement de médicaments, nous souhaitons désormais aller au-delà et co-construire des solutions pour bien accompagner les patients ou les PS qui les prennent en charge. Pour nous, le patient expert, dans le cadre d’une représentation associative, doit avoir une capacité à se détacher de sa pathologie et d’exprimer une vision large, au-delà de son propre cas. Dans le cadre d’une rémunération, celle-ci se fait à l’association de patients avec qui nous contractualisons ; nous ne rémunérons pas les patients experts directement ».
Pr André Grimaldi : « A qui s’adresse ce qualificatif d’expert ? Pas aux autres patients ! Il s’adresse fondamentalement aux responsables du système de santé et aux professionnels de santé : aux premiers, il dit « nous voulons participer à la définition et à la mise en œuvre de la politique de santé », au risque d’un corporatisme associatif, et aux seconds il dit « vous êtes les experts de la maladie, nous sommes des experts du vécu avec la maladie », au risque de la généralisation d’un vécu singulier. En pratique, le « patient expert » peut être un patient associatif, un représentant d’usagers dans l’ensemble du système de soins, un patient-enseignant de la relation médecin-malade, un participant à la recherche dans une co-construction avec les PS et enfin – et là se situe le vrai sujet – un membre de l’équipe de soins. Dans ce dernier cas, le patient expert est un patient ressource pour d’autres patients (pas pour tous), moins un traducteur du langage médical ou un pédagogue qu’un tuteur de résilience très utile à certains patients. Historiquement, les premiers patients experts, les pionniers, étaient souvent des gens à forte personnalité qui refusaient leur maladie parfois en s’affrontant (à juste titre) à des soignants autoritaires, moralisateurs, oiseaux de malheur… Ils se sont fait rattraper par la maladie et se sont alors retournés à 180 degrés pour faire de leur maladie le sens de leur vie et faire bénéficier d’autres patients de leur expérience. Ces patients experts peuvent devenir des tuteurs de résilience, s’ils ont pris distance avec leur vécu et ont acquis une connaissance approfondie de la maladie et de ses traitements. Ils font le don de leur temps en aidant les patients « malades d’être malade » à surmonter cette deuxième maladie. Ils doivent donc bénéficier d’une intégration dans l’équipe médicale et d’une supervision. Le patient ressource – à la différence du patient expert - est à mon sens forcément un bénévole oeuvrant sous la responsabilité de l’hôpital ou de l’association ».
Eric Sarlat : « Je suis patient expert certifié (formation à l’université) spécialisé dans l’organisation des soins. Je rappelle que durant ces trente dernières années, on a vécu une révolution : le fait que le patient atteint d’une maladie chronique grave soit debout et non plus couché. La revendication du patient expert ou ressources est d’exister aux yeux des autres ; son apprentissage consiste à transformer son expérience en expertise, en la référençant en un certain nombre de savoirs (contrairement à d’autres patients qui partent en guerre contre les médecins, contre le système, contre tout ou presque). Par essence, un patient ressources doit permettre de pouvoir avancer, de pouvoir prouver une capacité à rester debout, de pouvoir trouver des terrains de médiation ».
Marc Dixneuf : « Quel est notre rôle lorsqu’on est dans un service hospitalier avec une équipe de soignants ? Qui est le patient expert ? Dans certains cas, c’est la seule personne qui parle et de ce fait s’affirme spontanément comme patient expert, et dans d’autres cas, comme chez Aides, c’est non pas un individu mais une organisation : on met sur la table, avec l’ensemble du monde du soin, les difficultés que l’on a rencontrées pour proposer des solutions d’amélioration ».
Myriam Jabri : « Il ne faut pas oublier, d’une part, le rôle des aidants (ils sont entre 8 à 10 millions en France) qui ont aussi beaucoup à apporter ainsi qu’une expertise à partager, d’autre part les patients souffrant de pathologies non représentés par des associations qui ont pourtant une expérience et des besoins ».
Pr André Grimaldi : « Un point important : nous sommes entrés dans une philosophie anglo-saxonne individualiste et utilitariste qui n’est pas la nôtre. Dans la philosophie anglo-saxonne, l’autonomie est un devoir : chacun est autonome en tant qu’individu, libre tant qu’il ne nuit pas à autrui. En France, l’autonomie est un droit, on ne s’en sort jamais seul, on est en co-construction depuis la naissance. Associations comme équipes de soins et relation médecin/malade sont des co-constructions et pas seulement des contrats entre individus ».
Eric Salat : « La notion d’autonomie est un piège en ce sens qu’elle signifie de ne pas avoir recours au système de soins qui coûte le plus cher. Avec l’arrivée d’un certain nombre de mécanismes de prises en charge d’inspiration anglo-saxonne, nous aurons à nous défendre pour avoir accès aux soins, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent ».
Myriam Jabri : « Pour en revenir à notre sujet principal, je crois que chacun de nous, prestataire, acteur de l’industrie de la santé ou organisme/institution/association, doit développer une culture patient. Côté industrie, orienter la prise décision en fonction du patient et de ses besoins est fondamental. L’apport du patient expert est indispensable, notamment dans le cadre de l’amélioration de la qualité de vie des malades ».
Propos recueillis par Denis Briquet