L’approche médico-marketing a beaucoup évolué dans l’industrie pharmaceutique. Ciblée sur le lancement de nouveaux produits, avec l’avènement des commerciaux dans les années 1970 et 1980, elle a fait face à une concurrence accrue entre laboratoires durant la décennie suivante, pour ensuite voir une montée en puissance des autorités de santé, notamment en termes de régulation, à partir du milieu des années 2000… Autrement dit : la donne a changé. Médical et marketing doivent œuvrer de concert, avec une industrie pharmaceutique qui repense sa stratégie de communication pour répondre au plus près aux attentes des professionnels de santé comme à celles des patients. Dans le même temps, le parcours de soins est devenu un enjeu fondamental pour les laboratoires et nécessite une approche globale de celui-ci. Conséquence : l’organisation entre les différents services des laboratoires doit s’adapter, faire preuve d’agilité et de flexibilité. Dans un tel contexte, qu’en est-il de la communication marketing et médicale ? Peut-on parler d’une même longueur d’onde ? La digitalisation facilite-t-elle cette transformation et les changements qui l’accompagnent ? Qui prend le « lead » ? Autant de questions qui ont été posées à Élodie Charmat, responsable de l’engagement numérique chez Novartis, Xavier Bourge, directeur associé aux affaires médicales chez MSD, et Thibault Lagorce, directeur associé marketing chez Bristol Myers Squibb, lors de l’Open FNIM du 24 mai 2023 dans les locaux du Roof Top Grenelle, à Paris. Également relayée en distanciel, ce débat a été présenté et animé par Pierre-Henri Freyssingeas, fondateur de l’agence Henri8, et Eric Phélippeau, à la tête du Festival de la Communication Santé. Ils sont tous les deux présidents d’honneur de la FNIM.
« Marketing et médical : je t’aime, moi non plus… » Tel était le postulat de départ de l’Open FNIM du 24 mai dernier. Un libellé interrogateur pour les uns, un brin provocateur pour d’autres. À l’instar de Thibault Lagorce, directeur associé marketing chez Bristol Myers Squibb, pour qui « le marketing et le médical sont comme l’été et le soleil, l’un n’est pas pensable sans l’autre ». Il parle d’une « synergie cruciale », « pour que l’on puisse finaliser des projets, même si parfois, en effet, on peut observer l’empiètement de l’un sur l’autre, mais ceci est normal, naturel. L’état de maturité des produits nécessite des interventions plus intenses d’une fonction plus qu’une autre, sur une période donnée. Et ce sont les synergies et partages d’informations entre les équipes – juridiques compris - qui sont le moteur de la réussite ». Avis partagé par Xavier Bourge, directeur associé aux affaires médicales chez MSD : « Nous avançons main dans la main avec le marketing. Et ce d’autant qu’un produit, aujourd’hui, se veut de plus en plus technique. Marketing et médical doivent donc fonctionner ensemble à partir d’un brief commun, d’un brand plan, où tout le monde se retrouve autour de la même table et s’aligne sur les ambitions. L’objectif étant d’élaborer et porter des messages forts et communs. » Même dynamique de collaboration chez Novartis, dont Élodie Charmat, chapeaute l’engagement numérique : « Je travaille avec des équipes médicales et ensemble, avec le marketing, nous nous adressons aux clients en vue de développer des produits et de la valeur ajoutée. » Une organisation qu’elle compare à « une colocation » et que Thibault Lagorce raccroche à l’idée de « synergie » entre les différents acteurs. Reste à savoir qui prend le « lead » ? Réponse du directeur associé marketing chez Bristol Myers Squibb : « Il faut s’accorder sur un objectif commun et à chacun d’apporter ses expertises et spécificités. Comme dans une coloc’, on s’organise pour faire les courses et le ménage et tout le monde se retrouve en fin de journée, pour l’apéro ! » « Les liens entre le médical et le marketing s’intensifient encore plus avec les besoins de nos clients – à commencer par ceux des professionnels de santé - qui évoluent vite. Les écouter et les prendre en compte nécessite un alignement et une synergie encore plus étroites pour répondre à ces attentes », complète Élodie Charmat. Xavier Bourge acquiesce : « La synergie entre le médical et le marketing est non seulement nécessaire, mais devient de plus en plus prégnante. Et pour cause : les molécules actuelles nécessitent une approche scientifique poussée et les attentes des professionnels de santé nous incitent à collaborer étroitement pour proposer des contenus de très haut niveau. »
Davantage d’agilité depuis la crise sanitaire
Dans cette logique de communication, qu’en est-il des relations entre équipes de terrain et décideurs au sein des sièges des grandes firmes de l’industrie pharmaceutique ? Partagent-ils une même vision ? Élodie Charmat fait état d’un « travail en équipes » et de davantage d’agilité depuis la crise sanitaire et les confinements à répétition. Elle constate également « une transformation des métiers » où « marketing et médical se réinventent ». Elle ajoute : « Nous devons tous être curieux et nous mettre à la place des autres, afin d’anticiper et mieux comprendre les besoins. » Thibault Lagorce nuance un rien son propos : « Terrain et siège restent deux mondes parallèles, avec leurs règles et leurs enjeux. Néanmoins, les synergies qui se mettent en place jouent un rôle de moteur dans notre réussite collective. » Alors, certes, comme toute transformation, « cela engendre des frictions, mais aussi de nouveaux challenges ». Xavier Bourge cite « des expériences communes » entre terrain et siège, notamment autour des essais cliniques où se retrouvent les fonctions médicales et les services spécialisés dans les essais. Un même retour d’expériences qui permet d’avancer, innover, progresser. Une fédération de compétences qui trouve sa cohérence à partir d’un brand plan, capable d’aligner les stratégies et objectifs de tous. Global et local s’apprivoisent, puis s’adaptent l’un à l’autre. Et ce « même si beaucoup d’informations viennent encore du global, car il existe des spécificités locales dans tous les pays », note Élodie Charmat. Il faut donc tempérer, harmoniser, s’appuyer sur ce que fait le global « tout en donnant un input en amont, pour gagner du temps ensuite ». Thibault Lagorce, lui aussi, voit le global « comme un allié » : « Le terrain doit travailler en synergie avec le siège, même si les filiales ont chacune leurs spécificités. Il faut s’adapter selon les contextes et expliquer au global le sens de cette adaptation. » Xavier Bourge prône lui aussi la pédagogie : « Il est important de donner un feedback, expliquer quel est le marché, élaborer un plan sur lequel on a eu un input. » À titre d’exemple, en France, on ne peut pas communiquer avec des spots télé quand on parle de médicaments, contrairement aux Etats-Unis : « Il faut l’expliquer et trouver une façon de contourner l’obstacle, s’adapter, s’aligner », reprend le directeur associé aux affaires médicales chez MSD.
« La parole et la transparence sont les nerfs de la guerre »
Agilité et flexibilité sont donc les clés pour actualiser et ajuster les brand plans en permanence. « La vie du terrain amène à une grande solidarité entre les différents acteurs. Elle permet de tisser des liens forts. Le siège doit rester connecté à cette réalité, pour proposer des outils et actions utiles aux collègues du terrain, toujours au service des soignants et des patients », souligne encore Xavier Bourge. « La parole et la transparence sont les nerfs de la guerre », reprend Thibault Lagorce, qui plébiscite en cela la mise en place de brand plans. Élodie Charmat parle plus volontiers de customer plan, « car il faut, avant tout, écouter le client le plus possible et lui apporter de la valeur ajoutée via les fonctions expertes de l’industrie pharmaceutique ». De nouvelles façons de travailler, « qui doivent perdurer au-delà d’une date de présentation, en s’assurant de l’impact de ces actions sur les clients ». « La synergie nait dans l’écoute et le partage, poursuit Xavier Bourge. Une définition claire des besoins et des attentes est donc nécessaire pour envisager une collaboration sereine et pérenne. À ce titre, les plans d’actions bâtis autour des molécules sont un moment privilégié pour créer cette alchimie. »
Digitalisation : « à nous de trouver les bons mots… »
Et le digital dans tout ça ? Est-il un nouvel atout ? L’omnicanalité révolutionne-t-elle les liens entre marketing et médical ? « Nous ne sommes qu’au début de cette révolution. Si elle peut parfois faire peur ou paraître contraignante, c’est à nous de trouver les bons mots, mettre du sens et réaliser les parcours les plus adaptés au terrain », explique Thibault Lagorce. De la pédagogie encore… Quant à Xavier Bourge, il y voit d’emblée une façon de « toucher tout le monde » : « L’omnicanalité permet de s’adresser aussi bien au jeune praticien qu’au professeur émérite. » Avec une règle du jeu à respecter : celle de la réactivité et du temps compressé. « Les praticiens les plus jeunes accordent moins de temps que leurs ainés aux sollicitations de l’industrie pharmaceutique, si celles-ci ne correspondent pas à leurs besoins », rappelle le directeur associé aux affaires médicales chez MSD. « Il faut voir cette transformation digitale comme une façon d’amplifier les communications réalisées par les ventes et le médical et de gagner en agilité », souligne pour sa part Élodie Charmat. Pour Xavier Bourge, « la digitalisation des échanges apporte un message personnalisé, en fonction des centres d’intérêts et des besoins, tout en gardant une approche globale ». Il précise : « L’omnicanalité permet à nos interlocuteurs d’exprimer leurs préférences et d’avoir accès à l’information pour laquelle ils ont le plus d’affinité. » Toutefois, ajoute-t-il, « si on est pro omnicanal, on n’est pas pro de l’omnicanal… On apprend en marchant ». Ainsi pour Thibault Lagorce, « il n’est pas utile de multiplier les canaux sans raison » : « On créé une démarche, on la teste, mais on ne la garde que si elle fait ses preuves. » Quant à ce qu’ils attendent tous d’une agence de communication, c’est qu’elle soit force de propositions et de conseils. Xavier Bourge recherche « une personnalisation de la communication » : « Nous attendons un outil, un regard et un accompagnement de la part des agences, ainsi qu’un équilibre entre présentiel et distanciel lorsque nous sommes face aux professionnels de santé. Quant à Thibault Lagorce, il se dit convaincu que les agences de communication doivent avoir connaissance de « tous les projets que nous avons en cours », pour caler au mieux leurs campagnes, prises de parole ou autres interventions.
Un conseil aux jeunes : « Soyez curieux ! »
Enfin, à la question « quels conseils donneriez-vous à un jeune qui débute dans le marketing au sein de l’industrie pharmaceutique ? », à l’unanimité, les trois invités de la FNIM ont répondu : « Soyez curieux ! Tester des nouvelles approches et aller chercher le vrai feedback de vos clients. » « Ne vous fixez pas de limites, apportez un regard neuf sur les façons de faire et maîtrisez les codes pour mieux les casser », a ajouté Xavier Bourge. « Ayez une soif d’apprendre, car tout évolue très vite, et allez sur le terrain pour rencontrer patients et professionnels de santé », a complété Élodie Charmat. Quant à Thibault Lagorce, pour lui, il n’existe pas de profil type de « marketeur », « mais l’empreinte humaine est importante et il faut savoir écouter, se remettre en question, gérer un projet de groupe, être tourner vers l’externe, nos clients mais aussi les nouvelles tendances ».