Outils essentiels dans le quotidien du praticien, les médias santé dédiés aux professionnels évoluent. Si l’effet Covid-19 a considérablement accéléré la progression du digital, la revue et le magazine « papier » font de la résistance. Et ce, même si l’industrie pharmaceutique développe désormais sa communication sur des écrans. Dans un tel contexte, le médecin a du choix pour se former et s’informer, mais moins de temps à consacrer à la lecture de médias professionnels. Alors comment faire pour le capter, l’intéresser, le fidéliser ? Quels nouveaux liens tisser entre presse « papier », digital et annonceurs ? Qu’en est-il de l’information certifiée ? Sur quels types de relais peut-on la trouver ? Autant de questions qui ont fait l’objet de la dernière Matinale de la FNIM, le 27 septembre 2023, dans les locaux du Roof Top Grenelle, à Paris. Une Matinale également relayée en distanciel et animée par Pierre-Louis Prost, directeur associé de l’agence KPL et président de la FNIM. Autour de lui, pour débattre de l’évolution des médias santé : Elena Zinovieva, directrice générale de Global Media Santé, éditrice en chef et directrice des publications La Revue du Praticien, Egora et Concours pluripro, Julien Lipkowicz, directeur général de l’agence Conseil Média Santé, et Maxime Clément, directeur des comptes stratégiques chez Medscape Professional Network.
« Le secteur des médias BtoB est en pleine mutation. À commencer par celui des médias dédiés aux professionnels de santé. » Le ton est donné avec ce premier constat de Julien Lipkowicz. Le directeur général de l’agence Conseil Média Santé observe une évolution de ces médias santé depuis 2018, « avec une accélération de la digitalisation ». Un phénomène qui s’est accentué durant la pandémie de Covid-19, « également à l’origine d’une augmentation des investissements digitaux ». Chiffres à l’appui : en 2017, le digital représentait 5% des médias santé contre 53% en 2022. Quant au « print », s’il couvrait 90% des médias santé en 2017, il est passé à 44% en 2022. Certes, la chute est significative. Mais elle fait dire, malgré tout, à Julien Lipkowicz que « le papier résiste ». Et ce en dépit d’un niveau d’investissement dans le digital, de la part de l’industrie pharmaceutique, qui a bondi de 20 points en 2020. Et pour cause : « Le confinement a boosté le nombre de connexions digitales, avec une consommation médias qui a quasiment triplé durant cette période, avant de baisser ensuite, pour finalement se maintenir à un bon niveau », reprend le directeur général de Conseil Média Santé. « En 2021, dit-il encore, nous avons observé près de 13 000 connections quotidiennes de médecins généralistes sur au moins un site logué dédié aux professionnels de santé. » Du jamais vu avant. De quoi susciter l’intérêt des laboratoires pharmaceutiques. Ces derniers ont donc suivi de près cette évolution, pour comprendre et s’adapter aux nouveaux comportements et nouvelles attentes, en termes de formation et information, de la part des blouses blanches.
Une multitude de relais pour communiquer autrement
L’offre média santé BtoB en 2023 joue donc double jeu : elle répond à la fois aux nouveaux modes de consommation d’information de la part des professionnels de santé et aux besoins de l’industrie pharmaceutiques. Autrement dit : les annonceurs apprennent à « annoncer » et communiquer autrement dans un domaine lié à la santé, doté de quelque 90 éditeurs, qui représentent plus de 350 marques ou supports médias en France. Bref, il y a du monde. Et de nouveaux médias continuent d’apparaître. Le tout dans un contexte où le nombre de titres de presse « papier » se stabilise depuis une dizaine d’années, avec une baisse des publications ciblées médecins généralistes et pharmaciens, en faveur de celles dédiées aux spécialistes. Car la presse de niche a la côte : plus on cible son public, plus on a de lecteurs et donc d’annonceurs concernés par ce micromarché. En marge du « print », le digital se développe à vitesse grand V. Julien Lipkowicz parle d’une « explosion » du nombre d’acteurs depuis cinq ans. Applications de curation, sites spécialistes, événements ciblés, réseaux sociaux, internationaux, d’affichages ou encore expérientiels… la diversité est de mise. Avec des formats de contenus qui évoluent également sur tous les supports. L’idée : privilégier la réactivité et l’interactivité avec de la vidéo ou encore du podcast. Ce qui engendre des propositions de valeurs différentes selon les acteurs et les médias. Si l’éditorial se retrouve plus volontiers dans la presse « papier », les curateurs de contenus interviennent auprès des pure players digitaux et ces derniers conçoivent des plateformes servicielles. À cela s’ajoute les communautés de professionnels de santé qui se retrouvent sur les réseaux sociaux pour échanger entre pairs. Ou encore l’arrivée de la MedEd (Medical education), qui prône une « communication d’environnement », où l’industrie pharmaceutique collabore avec les médecins et les sociétés savantes, en vue de disséminer des actualités médicales et promouvoir l’échange de pratiques. Une sorte d’évolution ou de déclinaison du « mix marketing ».
Contenu certifié et audience qualifiée
« Une multitude d’acteurs arrivent sur le marché de l’information santé, dont beaucoup sont des pure players », confirme Elena Zinovieva. « Alors quel business model pour une information crédible, validée, certifiée ? », s’interroge la directrice générale du groupe Global Média Santé. Surtout à l’heure où de moins en moins de médias – en particulier parmi les nouveaux entrants – recourent à des journalistes pour couvrir les informations. « Or, c’est de ce même business model dont dépend l’indépendance et surtout la mise en perspective du contenu », souligne encore Elena Zinovieva. À ce titre, elle rappelle que les titres de presse dont elle a la responsabilité au sein de Global Média Santé ont tous un numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP). Numéro accordé en échange de règles strictes à respecter. Quelques exemples : adopter une périodicité régulière, proposer un contenu payant et vendu de manière effective, assurer un lien direct avec l’actualité – avec au moins un tiers d’informations dit d’intérêt général - ou encore ne pas consacrer plus des deux tiers de la surface à la publicité ou autres annonces. Le cadre est clair. Reste à convaincre les annonceurs de devenir partenaires de médias pourvus d’une audience qui correspond aux cibles qu’ils souhaitent toucher. « C’est aux éditeurs de fournir ces statistiques à l’industrie pharmaceutique », explique Julien Lipkowicz. En tant que fournisseur de contenu, Maxime Clément acquiesce : « C’est à nous de vérifier la certification d’une audience qualifiée. Nous devons rassurer nos partenaires sur ce point. » Suggestion d’Elena Zinovieva : « Un bon début pour certifier ses audiences consiste à référencer ses titres auprès d’un tiers de confiance, telle que l’Allliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM). »
« La bonne information, au bon endroit, au bon moment »
Du côté des professionnels de santé, les attentes sont multiples. Si le Covid-19 a incité les blouses blanches à s’informer davantage par le biais du digital, ils en attendent des messages de qualité, qui doivent participer ensuite à une meilleure prise en charge du patient. C’est du gagnant-gagnant. « En tant qu’éditeurs de contenu, nous avons désormais le réflexe d’interagir avec les professionnels de santé », explique Maxime Clément. Une façon de mieux cerner leurs attentes pour mieux y répondre. Quitte à communiquer par spécialité. Un « hyper ciblage » qui pousse l’agence Conseil Média Santé à relancer des études auprès des professionnels de santé – les dernières datant de 2019 -, « pour connaître la façon dont ils consomment les médias aujourd’hui », confie Julien Lipkowicz. De son côté, Maxime Clément explique : « Ce qui marche avec les professionnels de santé, ce sont les formats courts et interactifs, tels les vidéos et les podcasts (1) – de préférence le matin ou le soir -. » Il n’en demeure pas moins qu’en termes de contenu, encore une fois, plus on cible, plus l’annonceur est au rendez-vous. Le médecin généraliste dit « à tendances » aurait-il alors le bon profil dans cette quête du lectorat de niche ? « Pas si sûr », nuance Maxime Clément. « Il faut rester prudent. Car ces tendances évoluent très vite dans le quotidien du praticien », dit-il. Avis partagé par Elena Zinovieva : « Une fois sur le terrain, le généraliste, même s’il est calé en oncologie ou en dermatologie, ne choisit pas les pathologies auxquelles il va être confronté. » Il faut donc trouver un juste équilibre. Comment s’y prendre ? « Chez Medscape, nous avons fait le choix du comportemental : nous savons que tel ou tel généraliste est confronté à tel moment à telle problématique. Nous allons alors lui envoyer des messages adaptés. » Une communication sur mesure que l’on doit à l’intelligence artificielle : « Elle nous aide à délivrer la bonne information, au bon endroit, au bon moment », reprend Maxime Clément.
Le montant des investissements médias à la hausse
À l’issue du débat, difficile de dire si le digital s’apprête, ou non, à remplacer définitivement le papier dans les médias santé. Pour l’heure les deux cohabitent. Plutôt bien d’ailleurs. Surtout qu’une majorité de praticiens de plus de 55 ans consomment encore spontanément du « papier » pour se former et s’informer. Maxime Clément, pour sa part, raisonne « omnicanal » et création de « passerelles » entre éditeurs de contenu et laboratoires pharmaceutiques. Quant aux montants des investissements médias à destination des professionnels de santé, « ils varient selon les secteurs », indique Julien Lipkowicz. En moyenne, s’ils représentaient de 2 à 5% des investissements professionnels de l’industrie pharmaceutique en 2018, ils ont grimpé depuis, variant aujourd’hui entre 10 et 15%. Explication du phénomène : « Certains laboratoires ont stoppé la visite médicale et reporté le budget sur la communication », explique le patron de l’agence Conseil Média Santé. Un bémol toutefois : « Les congrès sont de retour. La logique du webinar s’est essoufflée. Les professionnels de santé ont envie de se voir, se revoir, échanger, en présentiel. Les budgets risquent donc d’osciller entre médias et congrès. »
(1) Le Festival de la communication santé propose un prix « Podcast santé francophone ». En 2023, 11 podcasts ont été primés parmi 110 candidatures. Pour l’édition 2024, inscription gratuite jusqu’au 30 novembre 2023 ICI.