La relation est évidente. Inévitable. Un maillon fort dans la chaîne de valeur. Pourtant les liens ne sont pas toujours si fluides entre les agences de communication santé et les services achats de l’industrie pharmaceutique. C’est une enquête menée en 2024 par la FNIM, auprès de ses adhérents, qui le dit. Globalement, les échanges ont tendance à se dégrader entre les deux parties. Et ce bien souvent parce qu’il faut aller de plus en plus vite tout en restant agile, inventif, créatif et accepter des budgets à la baisse, face à des services achats des laboratoires dont les agences ne comprennent plus toujours les attentes et les modes opératoires. D’où une Matinale de la FNIM, organisée le 24 septembre 2025 à la fois dans les locaux du Roof Top Grenelle, à Paris, et en visioconférence, en présence de Caroline Galand, Responsable France des Achats Indirects chez Boehringer-Ingelheim, et Valentin Sorbier, directeur des achats chez Siemens Healthineers. Une rencontre et un débat animés par Denise Silber, fondatrice de VRforHealth.com et de Basil Strategies, également vice-présidente de la FNIM, Pierre-Louis Prost, directeur associé de l’agence KPL et président de la FNIM, ainsi que par Laurent Tordjman, directeur général du groupe La Phratrie et secrétaire général de la FNIM.
Le 20 novembre 2024, la FNIM a présenté les résultats d’une enquête, qu’elle a menée sur le thème des « Relations entre prestataires de services et laboratoires pharmaceutiques ». Les liens avec les équipes des services achats ont fait l’objet de l’une des 6 priorités évoquées, en vue d’améliorer les échanges entre les agences de communication santé et l’industrie. L’idée était alors d’organiser une Matinale FNIM avec des responsables de services achats, « pour que chacun comprenne mieux les attentes et les besoins de l’autre ». Cette Matinale a eu lieu le 24 septembre 2025, à Paris, avec comme point de départ, une question : « Qui fait quoi et comment dans les services achats ? » Une interrogation motivée non par le manque d’organisation du « procurement » en règle générale, mais plutôt parce que la donne a changé. Les attentes des uns ne correspondent plus forcément aux propositions des autres. Les modes opératoires de certains ne font plus écho au savoir-faire des autres… Bref, les échanges perdent en fluidité, réactivité, efficacité. D’où la volonté de la FNIM de faire se rencontrer communicants et responsables achats, afin de dessiner les contours des améliorations à mener des deux côtés.
« Acheter, c’est mettre en adéquation des besoins et des réponses à ces attentes »
« C’est quoi acheter en 2025 ? » La question a été posée, en guise d’ouverture de la Matinale, à Caroline Galand, responsable des achats indirects chez Boehringer-Ingelheim. Une façon simple de mettre les pieds dans le plat. Sa réponse : « Acheter, c’est mettre en adéquation des besoins – ceux du marketing - et des réponses à ces attentes, tout en sécurisant l’entreprise dans ses achats. C’est donc, avant tout, une question de relation et de partenariat. » Pour que cela fonctionne, Caroline Galand souligne aussi « l’importance de connaître ses business partners – à savoir les clients internes - et leurs enjeux stratégiques ». Et pour cause : elle achète elle-même pour la recherche clinique, « sans être ni pharmacien, ni médecin ». « L’exercice se fait donc à deux : nous faisons émerger les besoins, les réponses, puis nous évaluons le meilleur prestataire, qui deviendra un futur partenaire », explique-t-elle. En « pratique », Caroline Galand parle d’une obligation de « passer par les achats », lorsque le partenaire n’est pas encore identifié ou lorsque la commande dépasse les 75 000 euros. Études financières, propriété intellectuelle et autre protection des données obligent. À ce stade, la question de l’expérience des interlocuteurs, au sein des laboratoires, qui échangent avec les prestataires, a fait l’objet de réserves de la part des adhérents de la FNIM lors de son enquête de 2024. Sur le terrain, certains ont, en effet, pu constater être souvent en relation avec des juniors, voire des alternants. Réaction de la responsable des achats indirects chez Boehringer-Ingelheim : « Si ce sont des juniors ou des alternants, ils sont toujours accompagnés et ne prennent pas de décision, seuls. Nous ne leur confions pas de missions à enjeux stratégiques. Ils ne sont là qu’en soutien, en support, voire en tant qu’observateur. » « Nous externalisons certaines de nos équipes achats en Europe de l’Est et en Europe du Sud », reconnaît, pour sa part, Valentin Sorbier, directeur des achats chez Siemens Healthineers. Toutefois, il insiste sur « la capacité, en local, à comprendre le business ». « La valeur ajoutée des achats, poursuit-il, c’est de challenger les fournisseurs et les équipes internes, pour définir un cahier des charges et un budget. Le tout en parlant le même langage que le marketing et en comprenant les attentes des agences de communication ».
Le cas des petites structures, plus agiles, mais plus fragiles…
Souvent plus agiles, mais parfois aussi plus fragiles que les grosses agences, les petites structures ont fait l’objet, durant la Matinale, d’un focus sur leur positionnement face aux achats de l’industrie pharmaceutique. Ni Caroline Galand, ni Valentin Sorbier ne se sont dits réticents à solliciter des partenaires issus des PME. Bien au contraire. « Sur ce point, les achats ont une marge de manœuvre. La liste des partenaires n'est pas exhaustive. Et ce d’autant que les petites structures, en local – en particulier en France -, ont une véritable expertise dans des domaines de niches », argumente le directeur des achats chez Siemens Healthineers. Avis partagé par la responsable des achats indirects chez Boehringer-Ingelheim : « Les petites structures sont hyper-réactives avec un relationnel facilité. Elles ont leur place pour travailler avec de gros laboratoires, sans qu’elles ne soient contraintes, pour autant, de justifier de labels coûteux, tel que le label EcoVadis. » Un bémol toutefois : Caroline Galand admet que « l’industrie pharmaceutique n’accorde pas les mêmes budgets aux petites et aux grosses agences… » Un constat qui peut laisser perplexe. À commencer par Laurent Tordjman, directeur général du groupe La Phratrie et secrétaire général de la FNIM. « Le juste prix d’une prestation, dit-il, c’est la valeur que l’on donne à ce qui est créé. » Dans un tel contexte, comment rester compétitif et maintenir une équipe de salariés si les prix pratiqués tirent vers le bas ? En sollicitant l’intelligence artificielle (IA) ? « Oui, mais pour faire le bon prompt, il faut garder les médecins dans nos agences pour avoir le bon expert devant l’ordinateur », rétorque Laurent Tordjman. Il a profité de cette Matinale de la FNIM pour rappeler que l’IA, « c’est un investissement pour une agence de communication, car, une fois de plus, le prompt d’un médecin n’est pas celui d’un communicant. D’où l’importance de travailler mieux avec l’industrie pharmaceutique, pour que certaines agences ne soient plus à flux tendu, sans pouvoir garder ses équipes et encore moins recruter ». À cela s’ajoute l’utilité d’un feedback lorsqu’un prestataire se retrouve en short list d’un référencement, afin de comprendre les raisons qui ont pu inciter un laboratoire à préférer telle ou telle agence, tel ou tel partenaire. Surtout si c’est une question de tarif. Pour Valentin Sorbier, « un budget doit se construire avec une agence et non pas en fonction des agences ».
Transparence et relation de confiance
« Et si l’un des critères incontournables pour un acheteur était la transparence ? » La question de Denise Silber, fondatrice de VRforHealth.com et de Basil Strategies, également vice-présidente de la FNIM, a fait mouche. « La transparence, c’est la clé sur ‘qui fait quoi’. Plus on va comprendre les freins et les étapes clés de l’offre, plus on va évoluer et calibrer le bon rapport et comprendre un coût global. En outre, si certains paramètres changent en cours de route, plus il y aura de transparence, plus on comprendra les ajustements », explique Caroline Galand. Une transparence qui rime avec « relation de confiance », pour la responsable des achats indirects chez Boehringer-Ingelheim. Ce qui n’est pas compatible en cas de turn-over soutenu au sein d’un service achats. « La rotation de personnel c’est la perte d’un historique et d’une base de négociation. Or, ce sont des points primordiaux dans la relation avec les acheteurs », reconnaît Caroline Galand. D’où l’importance d’une « mise à jour des connaissances et des organisations », pour éviter « tout chamboulement » dans la relation, ajoute-t-elle. « On ne doit pas être dépendant d’un seul fournisseur. Il faut diversifier la dynamique d’achat, sans oublier de gérer aussi les fournisseurs dormants », commente à son tour Valentin Sorbier. « La fonction d’achat s’inscrit dans un processus de collaboration », rappelle encore Caroline Galand. Instaurer et entretenir le dialogue entre les deux parties, c’est une clé pour mieux se comprendre. Le mail, le téléphone, la visio sont autant d’outils pour créer des occasions d’échanger sur les métiers de chacun. Mais Valentin Sorbier souligne aussi l’importance de la rencontre de visu, à l’occasion d’un déjeuner, par exemple. Entretenir des liens, c’est un bon début. Initier une relation plus « humaine », c’est toujours mieux pour fidéliser et durer dans le temps.