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A l’orée des années 2020, comment se porte le couple soigné-soignant ? Patient et blouse blanche sont-ils toujours sur la même longueur d’onde ? Le dialogue est-il facile à établir ? A l’heure du digital et des réseaux sociaux, le médecin reste-t-il le premier relai d’informations ?... Autant de questions qui ont rythmé le débat mené durant l’OPEN FNIM du 10 décembre 2019, à l’Aéro-Club de France, à Paris. Une « Matinale » au cours de laquelle les résultats d’une enquête FNIM-BVA, sur « la relation patient-soignant », ont été révélés par Odile Peixoto, directrice de BVA Santé, et commentés par Laure Guéroult Accolas, fondatrice de Patients en réseau, Camille Thérond Charles, présidente de l’AMFE (Association Maladies Foie Enfants), et Sophie Augros, médecin généraliste à Aime La Plagne, en Savoie.
« La relation entre le patient et le soignant a longtemps été celle de l’ignorant face au sachant. » C’est Gérard Raymond qui le dit. Le président de France Assos Santé a ainsi ouvert l’OPEN FNIM du 10 décembre 2019, à l’Aéro-Club de France, à Paris. Le thème de cette nouvelle « Matinale » de la FNIM : « Comment rendre la relation patient-soignant plus efficace ? » Vaste sujet. Pour amorcer la réflexion, Gérard Raymond a rappelé que cette « relation » a évolué au fil des décennies : on a commencé à parler d’« éducation thérapeutique » dans les années 1990, puis d’« accompagnement » dans les années 2000, de « parcours de soins » dans les années 2010 et, aujourd’hui, « on parle d’expérience patient ». Dans cette « expérience », Gérard Raymond part du principe que « le gros du travail doit être fait par le soignant, qui a choisi son métier, alors que le patient, lui, n’a pas choisi d’être patient ». Derrière le mot « travail », le président de France Assos Santé met les mots « humanisme » et « bienveillance », sans oublier la notion de « temps » : « Le temps d’échanger ensemble, entre le patient et son médecin. Car on ne soigne pas un cancer, mais une personne qui a un cancer… » Une relation de confiance s’impose donc entre soigné et soignant, « et celle-ci ne se décrète pas, elle se gagne ». Reste que « le médecin n’a pas forcément toutes les réponses », a nuancé Sophie Augros, médecin généraliste à Aime La Plagne, en Savoie, invitée par la FNIM à participer au débat. Présidente et membre active de l’association pour la maison de santé du canton d’Aime La Plagne, elle souligne l’importance de « savoir déléguer » : « On a trop fait porter le savoir sur le seul médecin. Or il ne faut pas oublier le rôle important de la secrétaire médicale, mais aussi celui de l’infirmière, du psychologue ou encore du kiné… » A son tour, la généraliste réclame davantage de temps et d’humanisme au sein du « colloque singulier ». Une attente exprimée par les patients eux-mêmes, dans l’étude FNIM-BVA sur la relation patient-soignant. Etude présentée par Odile Peixoto, directrice de BVA Santé, lors de la « Matinale » du 10 décembre dernier.
43 % des Français, 46 % des patients et 61 % des aidants se sont déjà sentis « insuffisamment écoutés par le médecin »
L’étude FNIM-BVA mêle les verbatims d’une table ronde de trois heures, durant laquelle six responsables d’associations de patients (1) se sont librement exprimés le 1er octobre 2019, avec les résultats d’une enquête qualitative menée, en novembre 2019, auprès d’un échantillon national de 1 000 personnes. Premier constat, qui fait donc écho aux précédents propos de Sophie Augros : 4 malades chroniques sur 10 se sont déjà sentis « pas bien pris en charge » et les aidants « insuffisamment pris en compte ». Dans le détail : 53 % des Français, 58 % des patients et 69 % des aidants sont déjà sortis de consultation avec des questions qu’ils avaient oublié de poser et 43 % des Français, 46 % des patients et 61 % des aidants se sont déjà sentis « insuffisamment écoutés par le médecin ». Y a-t-il, pour autant, péril en la demeure ? Odile Peixoto invite à relativiser, « car le bilan de la dernière consultation à laquelle sont allés les Français interrogés, est positif, notamment chez le médecin généraliste ». A la question « le médecin a-t-il bien répondu à toutes vos questions de manière compréhensible ? », les patients répondent par l’affirmative à 92 % en sortant de chez le généraliste et à 88 % après avoir vu un spécialiste. Pas si simple, toutefois, d’expliquer ce décalage entre le vécu et le ressenti. L’étude FNIM-BVA pointe néanmoins un certain retard du monde de la santé par rapport aux évolutions sociétales. Exemples : à l’heure de l’instantanéité de l’information, de l’attente estimée et aménagée dans les transports ou les magasins, le patient « patiente » toujours autant – si ce n’est plus - chez le médecin ou à l’hôpital. Quant aux services de plus en plus personnalisés (customisation, chatbots…), ils s’opposent au manque de reconnaissance des patients – encore identifiés par des numéros - d’une hospitalisation à l’autre… A cela s’ajoute un médecin « pas toujours facile d’accès pour bon nombre de personnes malades », soutient l’étude, alors que la société du XXIe siècle a tendance à assouplir les rapports hiérarchiques, que ce soit à la maison ou au bureau. « Le rythme de l’hôpital n’est pas toujours adapté au quotidien des patients, reconnaît Laure Guéroult Accolas. Egalement invitée à débattre lors de l’OPEN FNIM, la fondatrice de Patients en réseau plébiscite, dans le cas d’un cancer du poumon par exemple, « le développement d’une filière immuno, qui facilite et fluidifie l’accès au traitement quand la maladie devient plus chronique ». Quant à Sophie Augros, la généraliste parle de « 5 minutes pour faire une radio », mais de « plus d’une demi-heure de transport parfois, pour arriver jusqu’à un centre de référence, forcément situé dans une grande ville ».
« Le patient cherche à donner du sens à l’épreuve qu’il vit »
L’image du médecin comme « première source d’information » est, elle aussi, remise en cause. Car, à l’ère du Net, le grand public peaufine son savoir sur les réseaux sociaux et le patient cultive l’expertise de sa maladie. D’ailleurs, 95 % des Français pensent que les patients peuvent apporter « des informations utiles au médecin concernant leur expérience du vivre avec la maladie ». « On note un profond besoin des patients de faire alliance, dans un contexte où le temps médical est compté, constate Odile Peixoto. La maladie isole, poursuit-elle, et le patient cherche un lien privilégié avec le médecin, qui est de moins en moins en capacité de le satisfaire. » Et là où le soignant doit développer son empathie et son sens de la communication, c’est notamment pour l’annonce d’une pathologie grave. A ce moment précis, le patient est dans cette attente, « car fragilisé et vulnérable », souligne Odile Peixoto. « Le patient cherche à donner du sens à l’épreuve qu’il vit », ajoute-t-elle. Or, « le médecin reste pragmatique et n’accompagne pas le patient dans cette quête de sens », pointe l’étude. Le « colloque singulier » se fait quelque peu… dialogue de sourds. Alors que des liens entre soignant et soigné peuvent s’installer dans la durée, en particulier pour des maladies chroniques. « Des liens qui vont amener à une collaboration », explique la directrice de BVA Santé. Toutefois, les représentants des associations, sollicités dans le cadre de l’étude, font état de nombreux manquements : à commencer par les structures hospitalières qui ne sont plus capables d’accueillir correctement les patients, faute de budget. « Certaines associations doivent elles-mêmes financer médicaments et matériel médical », constate Odile Peixoto. Elle évoque aussi « l’errance diagnostique, en cas notamment de maladies rares ». Un climat qui ne facilite pas le quotidien des patients, ni celui des soignants – dont la grogne se fait entendre jusque dans la rue, cet automne 2019 - : selon l’étude FNIM-BVA, 91 % des Français sont conscients des conditions de travail dégradées du personnel hospitalier.
« 4 % seulement des malades chroniques accèdent à l’éducation thérapeutique »
Le débat a également permis d’aborder le statut de « patient-client » et par voie de conséquence d’« expérience-patient », comme on parle d’« expérience client » dans une boutique, un hôtel, un restaurant, une agence de voyages… Mais qui dit « expérience-patient » dit aussi personnalisation. Or, pour Sophie Augros, « si cette personnalisation de la relation médecin-patient est une évidence en ville, en revanche à l’hôpital, celle-ci est plus difficile à instaurer. » Faute de temps, bien sûr, mais peut-être aussi « parce que le médecin se protège », suggère la généraliste d’Aime La Plagne. Laure Guéroult Accolas, pour sa part, met le doigt sur la multitude d’interlocuteurs auxquels le patient est souvent confronté à l’hôpital mais aussi en ville : « A nous, associations, de rendre compte de la complexité d’être un patient, lorsque celui-ci doit gérer sa maladie, ainsi que tous les autres pans de sa vie », dit-elle. Et ce d’autant que « 4 % seulement des malades chroniques accèdent à l’éducation thérapeutique du patient (ETP) », constate encore la fondatrice de Patients en réseau. « Or, l’ETP libère la parole, poursuit-elle. Les patients osent parler « vraie vie » : c’est-à-dire projets, traitements, alimentation, intimité, sexualité, difficultés quotidiennes… C’est un vrai plus pour davantage d’autonomie ». Avis partagé par Camille Thérond Charles. Pour la présidente de l’Association Maladies Foie Enfants (AMFE), l’ETP permet de former et informer les patients comme leurs proches. Son association a d’ailleurs mis en place un programme d’ETP à l’hôpital Necker, à Paris, pour sensibiliser notamment au traitement anti rejet d’une greffe et aux conséquences de l’oubli d’un traitement. « L’ETP a prouvé ses effets, explique Sophie Augros. En particulier dans les petites villes et villages, où des programmes individuels se mettent en place. A l’instar d’une aide au sevrage tabagique, supervisée par une infirmière. » D’ailleurs, selon l’étude FNIM-BVA, 11% des Français interrogés connaissent l’ETP, outil pédagogique « idéal pour gagner du temps médical et optimiser la qualité des soins », souligne Odile Peixoto. « A condition que le patient soit associé dès la conception du programme, menée par une équipe pluridisciplinaire », détaille-t-elle. Une ouverture vers le patient et une prise en considération de son ressenti plutôt convaincantes. La preuve : 67 % des Français sont intéressés par des séances d’ETP, révèle l’étude FNIM-BVA. Mais, dans le même temps, celle-ci fait état d’un manque d’intérêt pour l’ETP de la part d’une majorité de médecins. « Ils restent également dubitatifs quant à la décision médicale partagée », observe Odile Peixoto. « Nous ne sommes pas formés à l’écoute, confie Sophie Augros. Je n’ai entendu le mot empathie qu’en 8e année de médecine et il n’existe aucune sanction si on ne fait preuve ni d’empathie, ni d’un certain sens de la communication dans notre pratique quotidienne. Si bien que lorsque je reçois des internes en stage au cabinet, je leur apprends davantage de compétences relationnelles que de gestes techniques. » L’actuelle réforme des études médicales ira-telle dans ce sens ? La question est posée. Quant à Odile Peixoto, elle veut croire à « une future relation d’équipiers » entre le médecin et son patient dans les années à venir : « Le patient a besoin à la fois du soutien médical et d’un accompagnement dans le vivre avec. Aussi faut-il sortir l’ETP de sa confidentialité. » Laure Guéroult Accolas, Sophie Augros et Camille Thérond Charles ont foi, également, en l’avenir. « Si c’est pour travailler ensemble, avec les soignants », précise la fondatrice de Patients en réseau. Quant à Sophie Augros et Camille Thérond Charles, elles raisonnent au regard des nouvelles technologies et, pour elles, « c’est justement l’arrivée de l’intelligence artificielle qui doit pousser à être plus humain. »
(1) Laure Gueroult Accolas (Patients en réseau), Camille Thérond Charles (AMFE), Magali Leo (responsable du plaidoyer RENALOO), Jean-François Thébaut (FFD), Eric Balez (Fondation François Aupetit), Pascal Douek (porte-parole d’associations dans la SEP : ARSEP, UNISEP).