A l’heure de l’instantanéité de l’information, des réseaux sociaux et des lanceurs d’alerte, la transparence est la clé pour communiquer, transmettre et créer une relation de confiance entre différents interlocuteurs. Et ce, en particulier, dans le domaine de la santé publique. Intégrité, éthique et compliance ont ainsi été au cœur de la Matinale de la FNIM, le 13 novembre 2019 à l’Aéro-Club de France, à Paris. Pour expliquer, montrer et démontrer la pertinence de cette compliance dans le quotidien des professionnels de santé, deux experts étaient invités à débattre : Michel Poujade, directeur compliance et intégrité de Novartis France, et Pierre-André Poirier, directeur de l’éthique et de la conformité au sein du groupe Pierre Fabre.
Ce n’est pas nouveau de parler éthique et transparence dans le secteur de la santé. Toutefois, la loi Sapin II, votée en 2016 et relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, a poussé à se pencher à nouveau sur le sujet. Et pour cause : ce texte crée l’obligation, pour toutes les entreprises réalisant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et employant au moins 500 salariés, d’instaurer des procédures anti-corruption via un système d’information interne et externe. L’industrie pharmaceutique fait partie des entreprises visées par cette loi. Loi qui les contraint désormais à disposer d’un code de conduite face à la corruption ou autre trafic d’influence, une alerte interne, une cartographie des risques, des procédures de vérification de l’intégrité des clients et fournisseurs, des procédures de contrôle comptable interne et externe, des programmes de formation à destination des collaborateurs et personnels les plus exposés, ou encore une palette de sanctions disciplinaires en cas de faute ou de manquement. « La dimension pédagogique, c’est la clé pour faire comprendre que la compliance est aujourd’hui incontournable », a d’emblée souligné Pierre-André Poirier, directeur de l’éthique et de la conformité au sein du groupe Pierre Fabre. Invité avec Michel Poujade, directeur compliance et intégrité de Novartis France, lors de la Matinale de la FNIM du 13 novembre 2019, ils ont tous les deux expliqué et détaillé ce que le mot « compliance » signifie exactement et ce qu’il engendre, par voie de conséquence, pour les acteurs du secteur de la santé publique.
Compliance, ça veut dire quoi ?
Le mot anglais « compliance » se traduit littéralement par « conformité ». Le ton est ainsi donné. On comprend que cette compliance mêle processus, cadres et normes à respecter. « Dans le secteur de l’industrie pharmaceutique, la compliance c’est à la fois s’assurer qu’une entreprise respecte les règles qui s’appliquent à ses collaborateurs en interne, mais aussi celles qui s’appliquent lorsqu’une entreprise est amenée à communiquer, échanger, travailler avec les sociétés savantes, les professionnels de santé ou encore les patients… Les directions compliance doivent intégrer dans leurs procédures la réglementation locale, mais également les directives du groupe en appliquant le principe suivant : c’est le texte le plus strict qui s’applique à l’entreprise », explique Michel Poujade. Le directeur compliance et intégrité de Novartis France ajoute : « La compliance, c’est s’assurer du bon respect de l’application et de la compréhension des règles internes et de la réglementation. C’est aussi identifier les risques de notre organisation et les minimiser avec des plans d’atténuation. » La formalisation des procédures et l’analyse de risque sont donc l’affaire de tous et impliquent l’ensemble des directions, ainsi que les propriétaires de processus. Un cadre qui fédère, en outre, les principes communs aux entreprises, que sont le code de conduite, la politique anti-corruption, la politique de conflits d’intérêts, la protection des informations personnelles, les bonnes pratiques en matière de concurrence, ou encore les instructions quant à l’utilisation des réseaux sociaux. « Depuis quelques temps, une analyse de risque propre à chaque pays est également réalisée. Car chaque pays étant différent, les maisons-mères réclament cette analyse spécifique », observe encore Michel Poujade.
Qui est concerné ?
« La compliance, c’est l’affaire de tous », affirme Pierre-André Poirier. « Cela renvoie au comportement de chacun. Il s’agit d’être en cohérence avec des valeurs, des codes, une éthique. C’est par la connaissance de notre métier que l’on arrive à cartographier des risques et concevoir des actions de prévention de ces mêmes risques », poursuit-il. Tous les collaborateurs d’une entreprise sont donc visés, concernés, impliqués par la compliance. « Ensemble, ils doivent décider et agir avec intégrité, conformément aux procédures, afin de protéger la réputation de l’entreprise et ce, dans l’intérêt des patients », complète Michel Poujade. A ce titre, le directeur compliance et intégrité de Novartis France préconise des programmes de formation « généraliste pour tous les collaborateurs » ou « spécifique pour des fonctions plus exposées que d’autres ». Au-delà de l’application des procédures, les collaborateurs doivent « se poser les bonnes questions et dès qu’il y a le moindre doute, ils peuvent solliciter un expert », suggère Michel Poujade.
Quelle communication avec les professionnels de santé et les patients ?
Au regard d’une actualité qui ne cesse de semer le trouble quant à la transparence de certaines entreprises du secteur de la santé publique, le principal enjeu de la compliance consiste à rétablir la confiance et redonner une réputation irréprochable à ces industries de santé. « L’autre enjeu, rappelle Pierre-André Poirier, c’est un enjeu de conformité aux réglementations, codes professionnels et internes d’autorégulation et de responsabilité sociétale. » Autrement dit, il faut assurer aux professionnels de santé, « une communication exclusivement guidée par l’amélioration des connaissances scientifiques, des pratiques médicales et de la prise en charge des patients », souligne le directeur de l’éthique et de la conformité du groupe Pierre Fabre. Parallèlement, vis-à-vis des patients et de leurs représentants, « il faut communiquer en garantissant aussi bien l’indépendance des associations que le respect mutuel (valeur égale des positions adoptées par le laboratoire et l’association), l’absence d’objectifs commerciaux, la transparence (nature et but poursuivi par le partenariat) et l’absence de toute relation exclusive ». Pour Pierre-André Poirier, « la communication doit reposer sur le déploiement de procédures spécifiques, le code interne de relations avec les professionnels de santé et leurs associations, la charte de relations avec les patients et leurs associations, les procédures de validation des communications et événements associant professionnels de santé ou patients, ainsi que le dispositif d’alerte interne, afin d’accompagner les collaborateurs et recueillir les signalements ».
Quelle valeur ajoutée en interne ?
Au-delà du seul respect des codes en vigueur et de la conformité aux réglementations, la compliance revêt, bien sûr, un enjeu stratégique et organisationnel au sein de l’entreprise. Celui-ci passe notamment par une responsabilité individuelle et collective renforcée – notamment par le biais d’une charte éthique à respecter -, sans oublier le partage de l’information en interne. Fini le chacun pour soi. C’est l’esprit d’équipe, de groupe et d’entreprise qui prime. Pierre-André Poirier parle d’« intelligence collective ». Une dynamique qui peut permettre d’utiliser les supports de communication interne aussi bien pour présenter, expliquer et déployer de nouvelles procédures, que pour signaler l’existence d’une ligne d’assistance et d’alerte éthique, publier les conclusions du rapport annuel de la fonction éthique & conformité, ou encore nouer un lien fort avec les enjeux de responsabilité sociétale. Et pour cause : « La communication interne relative au développement durable inclut un volet éthique & conformité », rappelle Pierre-André Poirier.
Quelle ouverture avec l’international ?
La compliance s’exporte bien. Elle permet « un déploiement uniforme et cohérent d’un programme éthique & conformité pour des activités internationales », explique Pierre-André Poirier. « Activités et territoires s’alignent sur des codes et autres procédures », précise-t-il. A partir de là, une communication devient possible aussi bien dans l’élaboration d’une charte commune, traduite dans les langues des pays d’implantation au périmètre du groupe, que dans la mise en place de programmes internationaux de formation, eux aussi dispensés en plusieurs langues. Le directeur de l’éthique et de la conformité chez Pierre Fabre préconise également « un monitoring corporate du déploiement international du programme éthique & conformité, notamment pour assurer la cohérence de la communication autour dudit programme ». Enfin, il évoque la pertinence d’une « communauté de compliance officers et de « référents / correspondants éthiques » au sein de toutes les activités et territoires, disposant de leurs propres outils de communication et de partage de bonnes pratiques ». De quoi séduire les jeunes générations. Car, Michel Poujade a pu le constater : « Aujourd’hui, lorsque les jeunes diplômés choisissent l’entreprise dans laquelle ils souhaitent aller travailler, ils regardent de près ses valeurs, son éthique ou encore son engament dans le domaine du développement durable. » Avis partagé par Pierre-André Poirier, qui parle d’une certaine « exigence » de la part des jeunes qui arrivent sur le marché du travail » : « Ils sont en quête de repères et de valeurs. Ils les recherchent. Ils en ont besoin. »