L’accès aux soins évolue. D’un côté, les modes d’exercice des professionnels de santé s’adaptent à de nouvelles attentes, à de nouvelles contraintes, au développement de la téléconsultation, à une démographie médicale et paramédicale en berne. De l’autre, les patients ont de plus en plus de mal à se faire suivre sur la durée, que ce soit pour des raisons financières ou de proximité d’un cabinet médical, voire d’un hôpital. Un rapport sénatorial, rendu public le 29 mars 2022, évoque des délais d’attente de près de 200 jours avant un rendez-vous chez un ophtalmologiste dans certains territoires. Autre constat : 11% des Français âgés de 17 ans et plus n’ont pas de médecin traitant.
Face à cette situation, l’exercice coordonné en maison de santé ou centre de santé devient une alternative attractive pour les blouses blanches et pertinente pour les patients. Qu’en est-il aujourd’hui de cet autre parcours de soins ? Comment ces dispositifs fonctionnent sur le terrain ? Quels sont les résultats obtenus ?... Autant de questions qui ont été posées lors de la Matinale de la FNIM du 25 janvier 2023, organisée à la fois dans les locaux de l’Aéroclub de France, à Paris, et en visioconférence. Le tout sous la houlette d’Elena Zinovieva, secrétaire générale de la FNIM et directrice générale du groupe Global Média Santé. Pour débattre et répondre aux interrogations, deux spécialistes du quotidien des professionnels de santé : Karen Ramsay, rédactrice en chef du pôle magazines de Global Média Santé (Concours pluripro et Egora-Le Panorama du Médecin), et Emmanuelle Barlerin, infirmière, coordinatrice en maison de santé pluriprofessionnelle, coprésidente de la FemasAura&co (fédération Auvergne-Rhône-Alpes) et 1ère adjointe au maire de Saint-Just-en-Chevalet, commune de 1 100 habitants située dans le département de la Loire.
L’offre de soins de premier recours traverse une période de mutation et de turbulences. Entre les besoins de la population, les attentes des professionnels de santé et la démographie médicale en berne – selon la Drees, le nombre de médecins devrait atteindre son plus bas niveau en 2024, avec 209 207 praticiens -, rien ne va plus. D’où le développement de l’exercice coordonné, garant d’une meilleure accessibilité aux soins, en particulier dans les territoires à faible densité de blouses blanches. En pratique, cet exercice qualifié des soins primaires ou de soins de premier recours, et dit « coordonné », prend la forme d’une équipe de soins primaires (ESP). Première marche du travail reconnu coordonné, avec au moins un médecin généraliste et un professionnel paramédical. Quant aux formes les plus connues des usagers, il s’agit des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) – avec au moins deux généralistes et un paramédical – ou des centres de santé (CDS) – avec au moins un professionnel médical et un paramédical. Sur le terrain, les MSP sont structurées par des professionnels de santé libéraux, à l’instar des CDS dans lesquels exercent des professionnels de santé salariés. À cela s’ajoute une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Celle-ci ne prodigue pas de soins, mais facilite la structuration des soins de proximité dans un territoire.
Le confort du « travailler ensemble »
Travailler en équipe, c’est « une offre de soins étoffée, une prise en charge du patient plus pertinente, mieux coordonnée, un cadre propice à l’expérimentation et à l’innovation, sans oublier le partage des charges administratives », détaille Karen Ramsay, rédactrice en chef du pôle magazines du groupe Global Média Santé. Elle souligne aussi le confort du « travailler ensemble » : « On se sent moins seul et on va plus loin ». Signe encourageant : le plan Ma Santé 2022 du gouvernement tablait sur 2 000 MSP à fin 2022. Or, on en recensait déjà 2 127 en fonctionnement en septembre 2022. Par ailleurs, en 2021, quelque 7 millions de patients ont déclaré un médecin traitant exerçant en MSP. Côté CDS, ils étaient au nombre de 2 236 en 2020, dont 92% en zone urbaine. En revanche, si le plan Ma Santé 2022 prévoyait un millier de CPTS pour la fin 2022, elles ne sont que 781 actuellement, à des états d’avancement variables. Il n’en demeure pas moins qu’une dynamique existe. Elle s’est mise en place. Et les premières remontées du terrain vont plutôt dans le bon sens.
L’importance du rôle des « facilitateurs »
« En 2012, nous n’étions qu’une poignée de professionnels de santé exerçant tous en cabinet de groupe ou de façon isolée. Un médecin, un kiné et moi avons initié, au départ, la mise en route de ce travail en équipe », se souvient Emmanuelle Barlerin. Infirmière, elle coordonne aujourd’hui une MSP en région Auvergne-Rhône-Alpes, où elle copréside également la FemasAura&co, fédération qui accompagne les projets des professionnels de santé qui souhaitent se constituer en équipe pluriprofessionnelle. « Aujourd’hui, nous sommes 33 professionnels de santé au sein de cette MSP, répartie sur plusieurs sites », poursuit-elle. Ce qu’elle observe sur le terrain : « À la fois un bon fonctionnement en équipe et de bons rapports entre CDS et MSP, car les objectifs sont similaires, même si la structuration juridique est différente. » La coprésidente de la FemasAura&co, également 1ère adjointe au maire de la commune de Saint-Just-en-Chevalet, souligne aussi l’importance du rôle des « facilitateurs » qui vont à la rencontre des professionnels de santé, représentants d’associations, élus locaux… pour les amener à la réflexion en amont de la création d’une structure d’exercice coordonné. Ainsi, en 2022 dans la seule région Auvergne-Rhône-Alpes, pas moins de 135 équipes ont été accompagnées en 197 facilitations. Parmi elles, 18 étaient porteuses de projets de CPTS accompagnées. « Notre force au sein de FemasAura&co, reprend Emmanuelle Barlerin, c’est notre expérience. Nous sommes au contact des patients, nous disposons d’outils, nous organisons des séminaires, des journées de rencontres et de formation des coordinateurs comme des gérants, des webinaires avec nos partenaires. L’idée : initier des dynamiques et les faire vivre en prenant en compte les mouvances au sein des équipes et des actualités du système de santé en transformation. » Au niveau de l’Auvergne-Rhône-Alpes, trois coordinatrices supervisent chacune quatre départements et une trentaine de « facilitateurs » se répartissent toute la région.
« La Région nous a accordé une subvention de 50 000 euros »
« En pratique, nous nous fédérons en vue de créer une MSP. Nous rédigeons notre projet de santé, soumis à l’ARS, afin d’obtenir un label. Label accordé à l’équipe pluridisciplinaire constituée, à l’origine du projet de santé, mais pas au lieu où s’installe la MSP », explique Emmanuelle Barlerin. « Ensuite, reprend l’infirmière, le travail en équipe coordonnée prend tout son sens. Car il devient plus visible et concret pour les professionnels de santé et les usagers. » Tout un processus, qui demande du temps. Du temps reconnu et valorisé au sein de la société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa). Cette structure juridique permet aux MSP de conventionner avec l’Assurance maladie – via l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) - et, ainsi, de rémunérer entre autres les activités exercées en commun et de façon coordonnée, des actions de prévention, d’éducation à la santé, le temps de coordination essentiel à la dynamique d’équipe, le système d’information partagé... « Ce qui assoit un peu plus encore la MSP et donne des perspectives pérennes à la vie de l’équipe », commente Emmanuelle Barlerin. Sur le terrain, la MSP, coordonnée par l’infirmière, est ainsi passée en une dizaine d’années d’une poignée de professionnels de santé à 33, dont 4 médecins généralistes en primo-installation, 4 kinés, 16 infirmières, 2 pharmaciens, un psychologue, une diététicienne, une orthoptiste, un pédicure-podologue, 3 chirurgiens-dentistes… Par ailleurs, une MSP peut être aidée pour le financement de l’achat de matériel médical et paramédical. Ce qui permet la réalisation d’actes de télémédecine. « Notre MSP a pu investir 70 000 euros et la Région AuRA nous a accordé une subvention à hauteur de 50 000 euros pour l’achat de matériel d’orthoptie », poursuit Emmanuelle Barlerin. Le rôle des collectivités territoriales n’a donc rien d’anodin dans la création de ces MSP. En particulier en ce qui concerne le volet immobilier. Parmi les autres institutions qui peuvent jouer un rôle de « facilitateur » de projet, citons l’Aménagement des territoires. Quant aux échanges avec les élus de proximité, ils peuvent, eux aussi, s’avérer précieux. Autre coup de pouce possible : celui du fonds d’intervention régional (FIR) attribué par les Agences Régionales de santé (ARS) et destiné à financer le démarrage de la MSP.
Le travail en équipe fédère, crée une dynamique, instaure la confiance
L’exercice coordonné, c’est aussi un moyen de « développer des actions de prévention et d’éducation à la santé à destination des patients », complète Emmanuelle Barlerin. Elle précise que des outils informatiques communs à la MSP et à la CPTS permettent de déployer des solutions de réponses aux demandes de soins non programmés en journée. « Et ce d’autant qu’un chargé de communication est parfois nommé dans les CPTS », rappelle Karen Ramsay. Par ailleurs, la MSP est source d’attractivité pour les jeunes professionnels de santé : « Nous pouvons accueillir des stagiaires, externes ou internes en médecine et nous avons pu observer que certains reviennent s’installer dans la MSP », raconte Emmanuelle Barlerin. Autre constat : « La MSP peut donner une impression de sécurité aux professionnels qui y travaillent. Le partage des informations, la connaissance des acteurs de santé, les outils développés sécurisés, les temps d’échanges et de convivialité sont autant de facteurs qui peuvent rassurer. » Une fois encore, le travail en équipe gomme la sensation d’isolement, il fédère, crée une dynamique, instaure la confiance, donne de la spontanéité dans les échanges. Reste que cela ne se sait pas suffisamment. Il n’existe que trop peu d’évaluation du travail mené par les MSP. « Leur efficience est comprise, mais des travaux de recherche sont en cours en lien avec l’Assurance maladie, pour entériner factuellement notre plus-value pour la prise en charge de qualité », reconnaît l’infirmière.
30,2% de la population française vit dans un « désert médical
Emmanuelle Barlerin fait partie de ceux qui ont mis en place, au niveau de la région Auvergne-Rhône-Alpes, un travail de recherche pour démontrer la pertinence de la présence des MSP. Face aux réfractaires, elle veut rassurer et faire comprendre que l’exercice coordonné répond en partie aux besoins d’accès aux soins. Toutefois, il n’existe pas une seule piste à suivre, mais plutôt des solutions à expérimenter en fonction des territoires et des besoins. Enfin, elle ne parle pas de « déserts médicaux », mais plutôt de déserts en santé : « Car la problématique d’accès aux soins ne se restreint pas aux seuls médecins. » Il n’en demeure pas moins que, selon le rapport sénatorial de mars 2022, 30,2% de la population française vit dans un « désert médical ». Un chiffre qui grimpe à 62,4% en Ile-de-France.
À SAVOIR : le 23 juin 2023, à l’espace Saint-Martin à Paris, le magazine Concours pluripro organise la première journée de l’exercice coordonné. Le thème des conférences et débats : « L’accès aux soins ».