En France, on recense quelque 150 000 influenceurs, tous secteurs confondus (1). Dans le même temps, un internaute sur 4 suit un influenceur et 61% reconnaissent être « influencés » par ces « créateurs de contenus » (2). Dans le domaine du soin, ils seraient environ un millier à « poster » et fédérer des communautés de patients ou des professionnels de santé, voire les deux. Mais quels messages véhiculent-ils sur leurs réseaux ? Quelle est leur crédibilité ? Comment travailler avec eux ? Existe-t-il un cadre réglementaire ? À quelles retombées peut-on s’attendre ? Leurs prestations coûtent-elles cher ?... Autant de questions qui ont fait l’objet de la Matinale de la FNIM du 20 mars 2024, organisée à la fois dans les locaux du Roof Top Grenelle, à Paris, et en visioconférence. Un débat mené en présence de Rémy Teston, consultant en stratégie digitale, également animateur du Club Digital Santé, et Denise Silber, spécialiste en santé digitale, co-fondatrice de VRforHealth.com, fondatrice de Basil Strategies, auteur du livre Le praticien connecté (éditions Edimark) et vice-présidente de la FNIM.
Avant l’apparition des réseaux sociaux, il existait déjà des influenceurs. On les appelait les « key opinion leaders », a rappelé, d’entrée de jeu, Denise Silber. La spécialiste en santé digitale, co-fondatrice de VRforHealth.com et fondatrice de Basil Strategies a expliqué que « ces leaders d’opinion – souvent de grands patrons de CHU - se faisaient connaître notamment dans le cadre des congrès médicaux ». Puis, avec l’arrivée de Facebook ou encore de Twitter, des « digital opinion leaders » se sont fait connaître et reconnaître : « Il s’agissait bien souvent de médecins, de toutes spécialités, installés en ville ou exerçant à l’hôpital, qui souhaitaient communiquer en direction du grand public », a encore détaillé Denise Silber. Aujourd’hui, se servir des réseaux sociaux pour relayer des informations liées à la santé est devenu pratique courante. Médecins, paramédicaux, patients… tous utilisent YouTube, X (ex-Twitter), TikTok, Instagram ou autres Streamers pour s’adresser à d’autres blouses blanches, à d’autres patients ou en deux communautés en même temps. Pour les qualifier, le mot « influenceur » - un rien galvaudé, voire péjoratif – glisse peu à peu vers le terme de « créateur de contenus », a pu observer Rémy Teston. Selon le consultant en stratégie digitale et animateur du Club Digital Santé, on recenserait, aujourd’hui en France, environ un millier de ces « créateurs de contenus » ciblés « santé ». Leur public ? « Plutôt des jeunes. » En effet, si 25% des internautes suivent un influenceur, 40% de ces « suiveurs » a entre 15 et 24 ans (2). Pour quelles raisons les acteurs de santé sont-ils tentés de miser sur ces influenceurs ? Réponse à choix multiple de Rémy Teston : « Pour adopter une nouvelle façon de communiquer, actionner un levier pour gagner en authenticité, encourager le bouche-à-oreille ou encore intégrer une communauté à des campagnes. »
Des millions de fidèles sur TikTok…
Des patients, aidants et professionnels de santé se sont donc fait un nom et une réputation sur les réseaux sociaux. Certains d’entre eux en ont même fait un métier. À l’instar du kinésithérapeute Grégoire Gibault, fondateur de Major Mouvement, à l’origine de vidéos sur YouTube – où il a près de 800 000 fidèles -, qui n’exerce plus en libéral. Mais la majorité de ces influenceurs gardent un pied dans le monde « réel ». C’est le cas du Dr Iza, praticien hospitalier, suivi par un million d’abonnés sur TikTok, ou encore de l’interne Carla Valette et ses 2,5 millions de fidèles également sur TikTok. Ce qui plaît aux « followers » ? « Leur capacité à vulgariser des problématiques de santé publique, l’accompagnement qu’ils proposent, leur sens du décryptage de l’actualité médicale ou encore l’entraide entre pairs », explique Rémy Teston. Une ligne éditoriale à laquelle adhèrent également des pharmaciens, ostéopathes, infirmières, sage-femmes… tous influenceurs en marge de leur profession première. Citons aussi des journalistes et blogueurs, tels que les Drs Michel Cymes, Gérald Kierzek, Damien Mascret… sans oublier Denise Silber et Rémy Teston, dont les communautés de « followers » sont des plus assidues. À cela s’ajoutent des collectifs de créateurs de contenus. Citons en exemple « Santé Organisée », dont l’objectif consiste à « rendre la médecine accessible à tous » et, ainsi, lutter contre les « fake news », le vocabulaire incompréhensible ou autres informations pas toujours vérifées… Quant à « Health Academy, by Major Mouvement », il s’agit d’un véritable « talk show » sur YouTube, piloté par Grégoire Gibault, qui donne la parole à la médecin généraliste Marine Lorphelin ou encore à Charline Gayault, alias « Charline sage-femme ». Par ailleurs, qu’en est-il des plateformes les plus plébiscitées par tous ces profils d’influenceurs ? Instagram arrive en tête. YouTube, X, TikTok, LinkedIn et Facebook suivent juste derrière. Les blogs et la plateforme Twitch – en pleine expansion – ferment la marche.
Lancement du certificat de l’« influence responsable »
« Un influenceur est une personne physique ou morale qui, à titre onéreux, mobilise sa notoriété auprès de son audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque », a rappelé Denise Silber. Une définition mentionnée dans la loi n°2023-451, du 9 juin 2023, qui encadre l’influence commerciale, afin de lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. La France fait bande à part en revendiquant des règles de bonne conduite. Un dispositif qui contraint l’influenceur à signaler tout contenu sponsorisé, en le nommant clairement « publicité » ou « collaboration commerciale ». Et ce, quel que soit le format utilisé, et pendant toute la durée de la diffusion de la campagne de promotion. À cela s’ajoute la mention « images retouchées » ou « images virtuelles », lorsque c’est le cas. Côté responsabilités, il ne s’agit pas non plus d’être dans le flou ou l’improvisation. Au regard de la loi française, si un contrat est signé avec un influenceur, le laboratoire est responsable du contenu publié. En revanche, si l’influenceur agit en toute autonomie, le laboratoire n’est pas responsable du contenu et il a un « devoir de réponse », en cas de propos erronés. Autre précaution à prendre : si des publications sont programmées durant des essais cliniques, il paraît pertinent de faire signer aux patients, inclus dans ces essais, des « no disclosure agreement ». Rémy Teston a également mentionné le lancement du certificat de l’« influence responsable », par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). « Ce certificat permet aux influenceurs de protéger leurs audiences, se différencier auprès des marques et préserver les valeurs d’un marketing d’influence éthique et responsable », a souligné le consultant en stratégie digitale. Quant à l’ARPP, cette instance a la bonne idée de publier, chaque année, son Observatoire de l’influence responsable : un outil précieux à consulter avant de « s’aventurer » avec un créateur de contenus.
À chaque influenceur sa ligne éditoriale
En pratique, Denise Silber et Rémy Teston ont identifié plusieurs « modes de collaboration » possibles avec un influenceur. À commencer par l’approche directe vers le créateur de contenus, avec gestion de la relation par le laboratoire ou l’agence partenaire, puis élaboration d’un brief, sachant qu’à chaque influenceur correspond une ligne éditoriale... Autre possibilité : le recours à des agences d’influenceurs (Webedia, Obviously, Tends, Adcrew…), qui prennent tout en main, du choix du créateur de contenus jusqu’au reporting des campagnes. Enfin, des plateformes d’influenceurs (Reech, Hivency, Findly, Favikon, Heepsy…) existent. Des créateurs de contenus y sont recensés, avec leurs performances, taux d’engagement, campagnes passées… Il suffit de choisir le profil le plus adapté. En termes de contenus, différents types de campagnes sont possibles, dont celles ciblées en directions des patients ou du grand public. À ce titre, Denise Silber et Rémy Teston ont cité en exemple la sensibilisation à une pathologie, des messages de prévention, l’accompagnement d’une association de patients dans une collecte de dons ou encore l’exercice de l’interview, du partage d’expérience de patients influenceurs qui disposent d’une communauté conséquente. En 2023, GSK a ainsi déployé une campagne de sensibilisation autour de l’asthme. L’idée : inciter les patients à contrôler leur asthme via un test en ligne. Dans ce cadre, des collaborations ont eu lieu avec des créateurs de contenus sur Instagram et TikTok. Le tout soutenu par le témoignage d’une footballeuse asthmatique. Résultat : quelque 175 000 vues des vidéos et plus de 1 500 commentaires ont été recensés. Parallèlement des campagnes B to B peuvent aussi être menées. Un leader d’opinion, à la communauté engagée, prend alors la parole sur LinkedIn ou X, pour promouvoir une offre ou un service. L’objectif étant d’apporter visibilité et crédibilité à une marque. Pharmageek a ainsi positionné Amgen comme acteur majeur de l’innovation en santé, grâce à une interview diffusée sur YouTube, des capsules vidéo relayées sur Twitter et un passage de la vidéo intégrale sur X et LinkedIn. Cette multiplication des formats et des supports permet de toucher différents publics et différentes tranches d’âges.
Une « story » facturée entre 800 et plus de 2 000 euros
Pour conclure la Matinale de la FNIM, Denise Silber et Rémy Teston ont reconnu que les outils, supports et autres modes opératoires des influenceurs continuaient d’évoluer. Ainsi Twich, « la reine des plateformes de streaming » a désormais la cote. Les marques la sollicitent de plus en plus. Car Twich permet de diversifier les formats des campagnes, en misant sur le test d’un produit en direct, un placement de produit durant un « livestream », un événement au profit d’une bonne cause… Même succès – avec en plus « un sentiment de proximité et de confiance » - pour les podcasts natifs qui ont séduit 37% d’auditeurs en France en 2023 (3). Dernier constat des deux experts du digital : « En 2024, les influenceurs virtuels ont trois fois plus d’engagements qu’un influenceur réel. » Le fort développement de l’IA générative explique cela. Et ce n’est qu’un début. Enfin, concernant les tarifs pratiqués par les influenceurs aujourd’hui en France, difficile de donner un chiffre précis. Selon Rémy Teston, une « story » sur Instagram peut être facturée entre 800 et plus de 2 000 euros… « Cela dépend de la campagne que l’on met en place et de sa durée », a-t-il dit. Cela dépend aussi du profil de l’influenceur sollicité et de sa e-reputation.
(1) Les influenceurs et les marques - Études 2024 – Reech – Janvier 2024
(2) Médiamétrie – Octobre 2023
(3) Baromètre 2023 du rapport des Français au podcast natif – CSA/Havas Paris