La France compte 590 start-ups qui se consacrent à l'intelligence artificielle (IA) – contre 502 en 2021 -, dont 16 licornes. En 2022, elles ont levé plus de 3,2 milliards d’euros et bénéficié d'1,5 milliard d'euros d'aides publiques. Ce qui leur ont permis de développer de nombreux produits et services reposant sur de l'IA. Ces chiffres, issus du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, donnent le ton. L’IA se déploie à la vitesse grand « V », en France et dans le monde entier. L’engouement pour ChatGPT en est la preuve : sortie en novembre 2022, cette application a attiré 100 millions d’utilisateurs en deux mois seulement… Dans un tel contexte, qu’en est-il de l’intégration de l’IA dans la communication et, en particulier, au sein des agences de communication ciblée sur la santé ? Faut-il la redouter ou, au contraire, y voir un outil précieux pour gagner du temps ? Quel rôle peut-elle jouer en termes de stratégie et de créativité ? Quelles sont ses limites dès que l’on parle sécurité des données, confidentialité ou encore ressources humaines ?... Autant d’interrogations qui ont fait l’objet de la Matinale de la FNIM du 24 janvier 2024, organisée dans les locaux du Roof Top Grenelle, à Paris. Un débat mené en présence de Sonia Mouas, leader santé Data & IA au sein du cabinet Onepoint, et animée par Denise Silber, spécialiste en santé digitale, fondatrice de VRforHealth.com et de Basil Strategies, auteur des ouvrages de la série “Le praticien connecté” (éditions Edimark), également vice-présidente de la FNIM, et Éric Phélippeau, vice-président et directeur général du #FestiComSanté et président d’honneur de la FNIM.
La donne est en train de changer. « Aujourd’hui, l’intelligence artificielle (IA) permet de créer des images, du texte, du son… et même de concevoir des idées », a d’emblée rappelé Denise Silber. Spécialiste en santé digitale, co-fondatrice de VRforHealth.com, fondatrice de Basil Strategies et vice-présidente de la FNIM, elle a ainsi amorcé la Matinale du 24 janvier dernier consacrée à l’intégration de l’IA dans la communication liée au domaine de la santé. Pour évoquer ce thème d’actualité, à l’heure où ChatGPT peut générer des contenus entiers, la parole a été donnée à Sonia Mouas, spécialiste des « cas d’usages » de l’IA au sein du cabinet Onepoint, l’architecte français de la transformation des entreprises et des acteurs publics. Implanté à travers le monde, Onepoint est capable de s’impliquer aussi bien sur la tech que dans la recherche, grâce à l’Institut Onepoint. Le cabinet propose aussi de la formation, avec L’École Onepoint, organisme accrédité qui a déjà formé quelques milliers de personnes sur les sujets design, IA et humanités, par exemple. « Notre expertise couvre toute la chaîne de valeur liée à la data », a précisé Sonia Mouas. Quant aux clients de Onepoint, issus du secteur de la santé, ils viennent aussi bien des hôpitaux que des collectivités, des laboratoires pharmaceutiques ou encore des assurances.
« Ne rien lâcher sur la sécurité des données »
Pour introduire son propos, Sonia Mouas a tenu à souligner que, dans l’IA, c’est l’IA dite « générative » qui permet - depuis 2021 - de « créer de nouveaux contenus écrits, visuels et audio, à partir de prompts ou de données déjà existantes ». L’IA générative étant un sous-domaine de l’IA « classique ». Puis, elle a présenté « NEO by Onepoint », un outil « intelligent » basé sur l’IA générative et développé en interne par les équipes Onepoint. Cet outil est capable notamment de rédiger - en quelques secondes - la note de synthèse d’un document de plusieurs centaines de pages, « sans rien lâcher sur la sécurité des données ». Car l’une des limites de l’IA est bel et bien la fuite massive de données vers l’« open AI ». Il n’en demeure pas moins que l’IA permet de gagner du temps au bénéfice de tâches à plus grande valeur, notamment dans les agences de communication santé. Dans quels cas ? Sonia Mouas a cité de nombreux exemples, dont la production de maquettes, storyboards, contenus pédagogiques sur les pathologies, créations publicitaires, doublage et sous-titrage automatisé, rédactions et autres résumés de textes à vocation scientifique… « On peut même confier à l’IA, la conception de séquences d’engagement canal/contenu avec le médecin, à destination des visiteurs médicaux », a-t-elle ajouté. Même scénario pour caler un « media planning » : l’IA peut donner des pistes à suivre… À condition, bien sûr, de maîtriser l’art de « prompter » le fameux « brief ». Autrement dit : savoir poser les bonnes questions à l’IA, pour que les propositions émises collent le plus possible aux attentes des utilisateurs.
Entre gain de temps et créativité « surfaite »
Premier bémol : d’un point de vue créatif, l’IA a ses limites. « Nous commençons à utiliser l’IA au sein de notre agence. Certes, c’est un accélérateur. Mais le directeur artistique a toujours la main », a expliqué Laurent Tordjman, directeur général du groupe La Phratrie, durant le débat de la Matinale. Un point de vue qui fait écho à un article du magazine Stratégies, publié en octobre 2023 et titré « Ces annonceurs qui interdisent aux agences d’utiliser l’IA générative ». En ligne de mire : ChatGPT, Dall-E ou autre Midjourney, dont les processus créatifs sont perçus comme « surfaits ». À cela s’ajoutent les nombreuses interrogations quant à la propriété intellectuelle – un thème qui fera d’ailleurs l’objet de la prochaine Matinale de La FNIM, en février 2024 -. De son côté, Sonia Mouas a insisté sur le fait que plus on précise sa demande à l’IA, plus la réponse est pertinente. Toutefois, sur un cas concret qu’elle a présenté – celui de jeter les bases d’un script pour un film traitant de l’importance de la prophylaxie en hémophilie B -, l’IA s’est révélée un rien oscillante entre réalité et fiction, pertinence et exagération, optimisme et idées morbides… Le tout pour en arriver à recommander de se rapprocher d’une agence de communication (Test sur Dall-E). Ce qui a fait réagir Éric Phélippeau, co-animateur de la matinale : « À terme, l’IA pourrait aller jusqu’à proposer une sélection d’agences à solliciter… » Dans ce cas, quid des petites structures moins bien référencées que les plus grandes ? Un débat dans le débat…
Des limites à prendre en compte
Une chose est certaine : l’IA avance, progresse, se généralise même. Pour l’adopter et s’adapter, c’est tout un cheminement, voire un accompagnement qu’il faut accepter, pour apprendre, comprendre et, in fine, être rassuré. Malgré cela, il reste quelques zones d’ombre. À l’instar de l’empreinte carbone numérique de l’IA : « Générer une image avec l’IA revient à charger un téléphone, en termes de consommation d’énergie », a indiqué Denise Silber. Autres limites mises en avant par Sonia Mouas : « Même si l’IA générative crée du contenu vraisemblable, elle doit être utilisée en complément de l’expertise humaine. » La spécialiste du cabinet Onepoint a, en effet, rappelé que « les IA génératives reproduisent à la fois les biais des données sur lesquelles elles sont entraînées et les biais des humains qui participent à la phase de renforcement ». D’où un risque de « désinformation de masse ». Par ailleurs, a-t-elle poursuivi, « les données entrées par les utilisateurs sont a priori utilisées par les entreprises qui créent ces modèles pour entraîner les prochaines versions de ceux-ci ». Autre écueil : « Les IA génératives s’appuient sur les textes sur lesquels elles ont été entraînées. En l’absence de transparence sur ces corpus, le risque de plagiat et de violation de la propriété intellectuelle ne doit pas être écarté. » Enfin, pour Sonia Mouas, « le fournisseur de système d’IA doit respecter les grands principes que sont l’existence d’une base juridique, l’exactitude des données générées, la sécurité des données, la fiabilité de l’algorithme ». Elle a ajouté : « Les acteurs qui détiennent ces innovations risquent, en outre, de concentrer de la valeur et engendrer une guerre économique, qui est déjà prégnante. Nous avons notre champion français, qui a déjà émergé au niveau européen pour porter ces innovations autour de l’IA Gen’. »
En France, 43,5% des 13-25 ans utilisent déjà l’IA
Principal enseignement de cette nouvelle Matinale de la FNIM : c’est l’expertise du prompt et la capacité à « mettre sa patte », dans le libellé d’une question posée à l’IA, qui font la différence. Sans cette maîtrise de l’outil ou avec des prompts similaires d’une agence de communication à une autre, le résultat restera sans relief, ni créativité. Ce qui a incité Sonia Mouas à évoquer la naissance d’un nouveau métier, qu’elle a baptisé « prompt up creatives ». Sachant que de plus en plus d’entreprises recherchent d’ores et déjà des « prompt engineers », pour utiliser les assistants virtuels en cadrant l’IA et, ainsi, obtenir les meilleurs résultats possibles à partir de requêtes ultra précises. « Il ne faut pas attendre pour travailler avec l’IA, a conclu Sonia Mouas. À condition, toutefois, de garder un esprit critique et savoir prendre du recul sur les propositions de l’IA, en vue d’éviter toute standardisation des créations. » En effet, mieux vaut ne pas bouder ou redouter cette IA, à l’heure où les jeunes, en agences de communication – et ailleurs… -, l’utilisent déjà au quotidien et de façon spontanée. Question de générations. Selon une récente étude, menée en France pour le compte de la plateforme Yubo, 80% des 13-25 ans connaissent ChatGPT et 43,5% l’utilisent.