Si le décret d’octobre 2010 définit les actes de la télémédecine (téléconsultation, télésurveillance, téléexpertise…), depuis le 15 septembre 2018, elle est entrée dans le droit commun des pratiques médicales : ainsi la téléconsultation est remboursée par la CNAM à l’instar des consultations ordinaires. Les freins à la mise en place de la télémédecine sont levés, ce qui augure d’une accélération de cette pratique. Mais de quoi parle-t-on ? S’agit-il d’une consultation directe par le médecin traitant ou un spécialiste ? Ou d’une consultation dans une cabine avec une infirmière ? Pour nous éclairer, la matinale de rentrée de la FNIM a invité le Dr Eric Jarousse, CEGEDIM, vice-président Healthcare Software, le Dr Claude Bronner, Président de l’Union Généraliste et Alain Laforêt de France Assos Santé.
Le cadre légal de la télémédecine, par Eric Jarousse
« CEGEDIM, qui fêtera en 2019 ses 50 ans, est un groupe français qui emploie plus de 4000 personnes dans le monde et dont les métiers sont tournés vers la santé. La branche dont je m’occupe est spécialisée dans les logiciels et les services pour les professionnels de santé. On équipe 300 000 PS dans les pays où nous sommes implantés, avec une forte activité en France : 70 000 PS libéraux dont 23 000 généralistes, 35 000 paramédicaux et 7000 pharmacies. La business unit Healthcare Software est, en France, le seul éditeur de logiciels présent sur l’ensemble des intervenants du parcours de soins. D’ailleurs, on retrouve ce parcours de soins en tant que pilier central de la téléconsultation.
Plus précisément, quel est le cadre de la télémédecine ? Cette activité est certes autorisée depuis 2010, mais il n’y avait pas de modèle économique pour le médecin (non rémunération). Le décret du 19/10/2010 définit cinq actes de télémédecine :
- 1) La téléconsultation : un patient et un médecin distant qui soigne le patient grâce aux outils de le communication informatique. L’avenant n°6 de 2018 a clairement planté le décor : la téléconsultation est un acte médical à part entière qui se pratique par vidéo (différent du téléconseil) et dans le cas le plus général, le patient doit faire appel à son médecin traitant. On voit poindre ici la question centrale de la gestion des rendez-vous et, en l’absence de RV, l’existence d’une file d’attente virtuelle.
- 2) Le téléexpertise : elle se pratique à distance entre un médecin et un autre médecin avec partage d’informations. Comme pour la téléconsultation, la téléexpertise est entrée dans le droit légal : le médecin peut maintenant la faire sans déclarer son activité auprès de l’ARS ni mettre en place une convention entre lui et les autres intervenants (décret du 14/9/2018).
- 3) La télésurveillance : elle permet à un professionnel médical d’interpréter à distance des données recueillies sur le lieu de vie du patient. Dans le cadre des expérimentations tarifaires ETAPES, elle concerne les patients en ALD, se situant en établissement de santé, en structure médico-sociale ou à leur domicile.
- 4) La téléassistance : elle a pour objet de permettre à un professionnel médical d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte.
- 5) La régulation : c’est la réponse médicale apportée dans le cadre de l’activité des centres 15.
Entrons maintenant dans un cas pratique de téléconsultation. Je suis patient et j’ai entendu dire qu’il y avait une possibilité de faire de la téléconsultation. J’ai un médecin traitant que je vais joindre par téléphone ou internet pour prendre un RV. Le médecin n’est pas disponible, mais il propose un créneau de téléconsultation : dans ce cas, le droit dit que ce n’est possible que si le médecin a vu physiquement le patient dans les 12 mois précédents. Autre cas : le patient ne parvient pas à obtenir un RV ou encore n’a pas de médecin traitant. Il peut toujours passer en accès direct avec certains spécialistes (psychiatres, ophtalmologistes, gynécologues…). Mais si le patient n’obtient toujours pas de RV dans un délai compatible avec son état de santé (critère plutôt subjectif !) ? Selon les textes officiels, c’est aux organisations territoriales de prendre en charge l’organisation de la téléconsultation sur le bassin de vie du patient. Les outils que l’on va mettre à disposition des médecins doivent leur permettre de faire de la téléconsultation sur RV ou hors RV et de s’inscrire dans une organisation territoriale afin qu’en cas de déficience, les patients puissent trouver une solution validée par le médecin traitant, sans rupture du parcours de soins. Ainsi, lorsque les patients auront été vus par un autre MG que le leur, cet autre MG assurant en quelque sorte la garde dans le cadre de cette organisation territoriale, le médecin traitant aura le feedback de ce qui a été fait durant la téléconsultation (pas de rupture dans le parcours de soins). Aujourd’hui nous avons les outils de suivi tel le volet médical de synthèse que le médecin peut déposer sur le DMP* du patient directement à partir de son logiciel ou par l’intermédiaire de la messagerie sécurisée de santé.
Pour finir, CEGEDIM, à la suite de demandes de plusieurs régions, offre la possibilité d’installer des cabinets de téléconsultation dans les déserts médicaux où les patients sont reçus par des infirmières. Ce cabinet dispose d’un chariot de télémédecine avec un otoscope (nez, gorge, oreille) et un stéthoscope en temps réel (le médecin distant est équipé d’un casque restituant les basses fréquences). L’avantage de notre système est que la carte vitale est accessible au médecin distant. Autre système : Docavenue téléconsultation. C’est un système sur smartphone sécurisé qui permet à tout médecin de faire une téléconsultation, cette fois non aidée ».
Claude Bronner : un tournant majeur
« Nous sommes à un tournant majeur dans la manière dont la médecine va être exercée en France, même si on observe une résistance au changement de la part des médecins, en particulier généralistes. On les comprend : si les consultations simples sont effectuées par des plateformes de téléconsultations, on prive les MG d’une importante source de revenus ; en outre, s’ils se retrouvent à traiter uniquement des patients atteints de pathologies plus complexes, leur rémunération de base à 25€ n’évoluera pas pour autant. Il y a donc un problème économique. Pour les patients, ce qui change avec la télémédecine, c’est la relation médecin-patient. Alors qu’auparavant, les médecins se battaient pour trouver des patients, aujourd’hui ce sont les patients qui se battent pour trouver des médecins. Or la télémédecine va rééquilibrer la balance en faveur des patients, même si l’organisation territoriale des médecins risque d’être compliquée. Cela dit, la clé du problème est bien dans la main des médecins. Car les textes officiels disent que lorsque les médecins s’organisent dans un secteur pour répondre aux besoins des patients, c’est ce qui prime en matière de remboursement. Les médecins sauront-ils relever le défi de l’organisation ?
Le développement de la télémédecine offre néanmoins un certain nombre de points positifs. A commencer par le dialogue entre médecins, ville-hôpital, généralistes-spécialistes. Prenons un exemple : un patient doit être opéré, il est difficile pour lui de se déplacer et on le retrouve chez lui où le MG se rend en consultation ; boucler le dossier de ce patient en prenant contact avec le spécialiste sera grandement facilité par la télémédecine ; en outre, la consultation pré-anesthésique est elle aussi facilitée par la télémédecine (là encore, le seul frein est économique car l’APC du recours au spécialiste, consultation complexe, n’a en aucun cas été acceptée dans la négociation et c’est une cotation de l’acte pré-anesthésique). Par ailleurs, la télémédecine risque-t-elle d’entraîner une inflation des actes ? On peut le penser, mais il y a une limite : la disponibilité des médecins. Seule une organisation efficace permettra de gagner du temps, jusqu’à 30% du temps médical, notamment dans le cas où une infirmière (ou un pharmacien) aide le patient à téléconsulter. Pour conclure, on peut déjà constater l’efficacité de la télémédecine dans certains secteurs comme la psychiatrie. Je cite souvent le cas d’une pédopsychiatre qui s’était fracturé une jambe et qui, pendant un mois, a continué à travailler à distance. Or elle a constaté que cette distance, justement, atténuait une forme de défiance propre aux enfants ».
Alain Laforêt : il ne faut pas être inquiet au sujet de la télémédecine, c’est un outil qui permettra de lutter contre les déserts médicaux, mais il faudra accompagner les PS et les patients un grand progrès pour les patients
« A France Assos Santé, qui regroupe plus de 80 unions ou fédérations agréées (UFC Que Choisir, lutte contre le cancer…), nous pensons que la télémédecine est un outils qui aidera chacun, quel que soit son lieu géographique et son statut social, à accéder à des soins de qualité. Nous les patients, on aimerait que les PS, qui parlent de parcours de soins, parlent aussi et surtout de parcours de santé et qualité de vie : derrière la maladie, il y a une personne qui vit dans un environnement particulier. Peut-être parce que j’ai fait carrière dans l’informatique, j’ai le sentiment que la télémédecine va favoriser la mise à niveau des connaissances qui n’est pas assez pratiquée – toujours pour de bonnes raisons (manque de temps, FMC* trop compliquée). Pourtant, le monde de la santé évolue à grande vitesse. Je crois que la télémédecine va offrir du temps pour que les médecins se mettent à jour. De plus, ce gain de temps pourra aussi être consacré à l’écoute des patients. J’espère aussi que grâce à la télémédecine et à ses outils informatiques formidables, le DMP pourra enfin être mis en place : on ne peut plus enregistrer le parcours de soins d’un patient sur les seules fiches Bristol du médecin traitant ! Un patient doit avoir accès à ses données et les partager avec les soignants : une plateforme de télémédecine non connectée aux DMP ne peut fonctionner correctement. Un dernier point : nos associations auront à accompagner, voire à former, les usagers (patients, malades) aux outils de la téléconsultation qui peuvent, en particulier pour les retraités âgés, être source de crainte ».
Propos recueillis par Denis Briquet
* Dossier médical partagé
** Formation Médicale Continue