Applications, réseaux, contenus en ligne accessibles partout et à tout moment… Le savoir n’en finit pas d’être partagé, échangé, commenté… Dans le domaine de la santé en général et du parcours de soins en particulier, c’est un vrai « plus », une avancée, à condition que cette circulation de l’information soit la plus fluide possible. C’est aussi un moyen de faire travailler ensemble les professionnels de santé concernés par un même sujet, une même pathologie, qu’ils soient en ville ou à l’hôpital, à condition qu’ils s’accordent et se mettent sur la même longueur d’onde… Sauf que certains rouages coincent encore. Alors, certes, ça bouge. Mais les partenariats ou autres fédérations de compétences ne sont pas toujours si simples à concrétiser sur le terrain. Ils étaient cinq pour en parler, lors de la Matinale de la FNIM du 26 février 2020, dans les salons de l’Aéro-Club de France, à Paris : Anne-Charlotte Chéron, responsable Communication & Média chez AIDES, Sandrine Cordier, consultante santé et ancienne executive hospital business unit director virology, immunology, acute care & rare diseases business development chez MSD France, Jean-Michel Chabot, professeur de santé publique à l’Université Aix Marseille, Corentin Le Men, directeur général de WeFlash, et Jérôme Bourreau, président d’Anamnèse. Un débat animé par Eric Phélippeau, président d’honneur de la FNIM et président de By Agency Group.
Le parcours de soins, on en parle depuis 2004, avec la loi Douste-Blazy, également à l’origine du médecin traitant. Rien de nouveau, donc. Mais sa mise en œuvre sur le terrain laisse parfois le patient un brin isolé, voire perdu au milieu d’un dispositif dont il ne maîtrise pas toujours le mode d’emploi. « Aujourd’hui, le patient se sent un peu seul au monde dans un parcours de soins », confirme Sandrine Cordier, consultante santé, après plusieurs années passées au sein de grands groupes pharmaceutiques. Pourtant, à l’heure du tout digital et de l’influence des réseaux, les démarches administratives devraient être facilitées, la communication simplifiée entre soignants et soignés, les liens de plus en plus fluides entre médecine de ville et hôpital. Or, ce n’est pas toujours le cas. Certes, des initiatives montrent la voie à suivre, mais des efforts restent à faire pour généraliser ces amorces de dynamique. C’est ce que les invités au débat, organisé lors de la Matinale de la FNIM du 26 février 2020, sur le thème « Parcours de soins, évolution et nouvelles perspectives grâce à l’apport du digital », ont montré, démontré, expliqué. Sandrine Cordier, la première. Pour elle, il faut décloisonner, « casser les silos » et surfer sur le digital pour « faciliter les interfaces » et ainsi « mettre patients, professionnels de santé et industrie pharmaceutique en réseau ».
« Une approche éclairante proposée dès mars 2012… »
Dès le milieu des années 2000, les politiques ont pointé du doigt la pertinence à encourager la coopération, notamment entre les soignants, dans la prise en charge et le suivi des pathologies chroniques. Et pour cause : médecins généralistes et spécialistes, libéraux et hospitaliers, pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes… tous sont mobilisés, sollicités, dans le traitement et l’accompagnement d’une personne atteinte d’un cancer, par exemple. Mais, sur le terrain, la fédération de compétences n’est pas si simple à instaurer. « Parcours : l’utilisation de ce mot a été croissante, jusqu’au mésusage. C’est un mot pour lequel des définitions confusantes ont été produites, avant de friser la saturation et le rejet », regrette le professeur de santé publique, Jean-Michel Chabot. Pourtant, nuance-t-il, « une approche éclairante en avait été proposée en mars 2012, dans un avis du Haut conseil pour l'Avenir de l'Assurance maladie (HCAAM) : L’attention portée à la qualité d’un « parcours » suppose de passer d’une médecine pensée comme une succession d’actes ponctuels et indépendants à une médecine qu’on peut appeler de « parcours ». C’est-à-dire une médecine – entendue plus largement que les actes des seuls médecins – dont l’objectif est d’atteindre, par une pratique plus coopérative entre professionnels et une participation plus active des personnes soignées, à une qualité d’ensemble, et dans la durée, de la prise en charge soignante... »
Organisation et coordination sont de mise
Aujourd’hui, la loi Ma Santé 2022 maintient la pertinence du parcours de soins, tout en y ajoutant l’agilité du digital. Ainsi, d’ici au 1er janvier 2022, tous les patients auront leur propre espace numérique de santé, afin de simplifier le parcours de soins de chacun et fluidifier les échanges de la transmission d’informations entre professionnels de santé. A cela s’ajoute la publication d’une doctrine technique du numérique, sorte de cadre de référence, afin de clarifier rôle et enjeux du numérique dans le secteur de la santé publique. Mais, en attendant 2022, il faut s’approprier et apprivoiser le digital, tout en préparant le terrain et ses différents acteurs. Organisation et coordination sont donc de mise. Ce que l’on a bien compris chez AIDES. L’association de lutte contre le VIH et les IST propose une approche globale de la santé et agit au plus près de l’épidémie. De quelle façon ? « En allant vers les groupes de populations davantage exposés au VIH et aux IST. En France, cela concerne les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, les travailleurs-euses du sexe, les usager(e)s de drogue, les détenu(e)s. L’important pour nous, c’est d’agir avec ces personnes plutôt que pour elles. On recueille leurs besoins, puis on construit avec elles des réponses adaptées », explique Anne-Charlotte Chéron, responsable Communication & Média chez AIDES. « Construire avec elles », cela signifie les interroger, les conseiller, les informer. Ainsi, chaque année, AIDES réalise une photographie précise des données d’activités, grâce à un outil interne capable de suivre et évaluer l’activité, au niveau national, de tous les publics clés. « Les échanges avec les personnes rencontrées lors des actions de AIDES permettent de collecter des données très fines dans un objectif de réduction des risques », souligne encore Anne-Charlotte Chéron. Elle ajoute : « Nous obtenons, par exemple, des informations sur les produits utilisés par les usager(e )s de drogue ou sur les pratiques sexuelles des personnes ». Une photographie précise d’une population avec laquelle AIDES communique via ses réseaux sociaux. « Nous avons quelque 171 000 followers sur Twitter, poursuit la responsable Communication & Média. Par ailleurs, nous avons créé des réseaux 2.0 d’entraide entre pairs sur des sujets bien spécifiques – tels que les groupes Facebook « Urgence Chemsex » ou PrEP’Dial -, afin de faciliter l’accompagnement des personnes et mieux répondre à leurs besoins. » Priorité à l’information, donc. Et ce jusqu’auprès des volontaires sur le terrain de l’association : Sinata, le système d’information de AIDES, leur permet en effet de documenter le suivi des personnes concernées par le virus du VIH, afin de mieux répondre à leurs attentes, leurs urgences. C’est un outil essentiel pour traquer l’épidémie cachée. Aujourd’hui, Sinata est notamment utillisé pour le suivi Prep (Prophylaxie pré-exposition), traitement préventif contre le VIH. « Sinata facilite le suivi longitudinal et transversal des parcours de soins », explique Anne-Charlotte Chéron.
Une appli délivre un « passeport médical de santé sexuelle »…
La technologie et le digital pour lutter contre les transmissions des infections sexuellement transmissibles (IST), c’est l’essence même de l’application WeFlash. Pour son directeur général, Corentin Le Men, l’objectif est double : diagnostiquer et « ramener dans le soin, à temps ». Comment ça marche ? A chaque relation sexuelle avec un nouveau partenaire, il suffit de mettre les téléphones portables des protagonistes en contact pour créer un « flash » - même sans connexion internet -. Plus tard, si le partenaire contracte une IST, l’utilisateur de WeFlash est prévenu sur son smartphone. En pratique, il faut s’inscrire sur le site Internet ou l’appli WeFlash, puis créer un « passeport médical de santé sexuelle ». Ce document sert – de façon anonyme - aux partenaires sexuels, mais aussi aux professionnels de santé, qui disposent d’un accès sécurisé aux données contenues dans ce passeport. « Il s’agit, ici, d’améliorer la situation actuelle, qui a conduit à 25 000 personnes séropositives ignorantes de leur statut », souligne Corentin Le Men. Il ajoute : « Avec WeFlash, nous visons toutes les personnes actives sur les application de rencontre en ligne. Nous souhaitons devenir leur accompagnateur de santé sexuelle numérique. L’enjeu consiste à limiter le temps entre l’infection et la connaissance de l’infection. En effet, c’est dans ce laps de temps que se nichent les contaminations ultérieures, et donc les épidémies. Notre solution, la notification anonyme, permet de ramener dans le soin les personnes exposées de manière précoce. Il s’agit donc d’une médecine prédictive et participative qui rend l’usager acteur de sa santé. » « Heureusement que des initiatives privées permettent de faire avancer les choses », commente Jean-Michel Chabot. Le professeur de santé publique s’inquiète, en effet, du retard pris par les pouvoirs publics pour fédérer les compétences médicales au profit des patients. « Depuis 2005, je me mobilise pour que les facs de médecine deviennent des facs de santé pluri-professionnelles », insiste Jean-Michel Chabot. Pourquoi un tel engagement ? « Parce que si l’on met des étudiants de différentes filières de formation (pharmacie, kiné, infirmières…) face à un patient pris en charge, les étudiants seront immédiatement convaincus de la pertinence qu’il y a à travailler ensemble. » Et le professeur de santé publique ajoute que, depuis 1998, « le Processus de Bologne encadre le rapprochement des systèmes d’études supérieures européens ». Mais si on a le cadre juridique au niveau européen, « on n’avance que trop lentement sur le terrain, pour universitariser l’ensemble des professions de santé ».
Des bénéfices pour les patients comme pour les soignants
« La digitalisation a changé le métier des cheminots, comme il change actuellement celui des professionnels de santé. » C’est Jérôme Bourreau qui le dit. Cet ingénieur, ancien cadre de la SNCF au moment où celle-ci créait sa billetterie en ligne, préside aujourd’hui Anamnèse, une société qui met l’intelligence artificielle au service de la santé. Pour lui, parcours de soins et digital, « c’est la fin d’une relation descendante entre le médecin et le patient. Le patient est désormais comme l’utilisateur du site sncf.com : il veut les manettes ». Autrement dit : il a le choix, il peut se connecter à toute heure pour s’informer, gérer ses données, prendre un rendez-vous chez un praticien… « Le digital, ça libère du temps médical pour faire d’autres choses », reprend Jérôme Bourreau. Pour faire quoi, par exemple ? « De l’éducation thérapeutique. » Le président d’Anamnese croit en la médecine préventive : « La digitalisation permet d’informer en amont, anticiper, se préparer à une consultation. Plus le patient cogite sur ses symptômes, ses antécédents, plus il saura les exprimer et ainsi aider le médecin à poser le bon diagnostic. » Jean-Michel Chabot va plus loin encore. Le professeur de santé publique reconnaît que « le recueil de données via le digital permet d’améliorer la qualité de vie », mais il souligne également l’importance de privilégier le « travail en équipe » pour en finir avec « la rupture entre médecine de ville et hôpital public » : « Un médecin en exercice individuel produit des actes, une équipe produit des parcours. » A ce titre et dans la perspective d’un « exercice coordonné », il se dit favorable au développement des maisons de santé ou autres communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), préconisées par la loi Ma Santé 2022. « La priorité, poursuit-il, ce sont les affections de longue durée. Et pour cause : ces ALD représentent 5 à 10 % des malades en France et 75 % des dépenses de santé. Toutefois, cette coordination entre professionnels de santé ne peut se faire « tant que les libéraux restent figés sur leur tarification à l’acte », commente Jérôme Bourreau.
« L’expérience patient » séduit l’industrie pharmaceutique
« Le patient est déjà acteur et expert. Sera-t-il bientôt aussi traceur ? », s’interroge Sandrine Cordier. Elle fait allusion à la personnalisation qui accompagne la digitalisation, à « l’expérience patient » aussi. Une notion qui séduit de plus en plus l’industrie pharmaceutique. « Surtout si on n’intervient qu’aux points de rupture. C’est-à-dire là où il manque des outils », souligne Sandrine Cordier. Elle confirme d’ailleurs que « l’industrie pharmaceutique va de plus en plus vers des solutions et traitements à la carte ». Un parti pris qui doit, par voie de conséquence, multiplier les interactions et dynamiser la coordination entre professionnels de santé : « Mettons du collectif pour réfléchir et aller plus loin », reprend la consultante santé. Et ce d’autant qu’« un patient satisfait et bien traité, c’est un patient observant : il faut donc aller au plus près de la « vraie vie » du patient », suggère-t-elle encore. De même, « la réussite d’un projet augmente si l’on avance ensemble, avec les Agences régionales de santé (ARS), les soignants, les patients et l’industrie. » Enfin, qu’en est-il de la sécurité des données et de l’anonymat des patients avec le digital ? Côté sécurité, Jérôme Bourreau se dit confiant. Quant à l’anonymat et au consentement sur l’usage des données, une association comme AIDES en fait l’une des clés de la relation de confiance que les professionnels de l’accompagnement établissent et entretiennent avec les personnes rencontrées. Et demain ? Vers quoi va-t-on ? Les invités de la Matinale de la FNIM se sont voulus optimistes en regardant vers les jeunes générations : celles nées à l’heure et à l’ère du digital.