Quatre représentants des étudiants et internes, en médecine et pharmacie, étaient les invités de la FNIM, le 25 septembre 2019 à l’Aéro-Club de France, à Paris : Caroline Guérin et Gautier Davrainville--Simonato pour l’ANEPF, Antoine Reydellet pour l’ISNI et Lucas Denis pour la FNSIP-BM. Encore confiants dans l’exercice de leur discipline respective, ils se posent néanmoins beaucoup de questions sur leur avenir et surtout celui du système de santé français. Ils tirent quelques sonnettes d’alarme, notamment quant à la formation des futures blouses blanches aux outils numériques et autre intelligence artificielle. Retour sur un débat qui en dit long sur les attentes des jeunes professionnels de santé, entre espoir et désillusion.
La FNIM a fait sa rentrée le 25 septembre 2019, dans les salons parisiens de l’Aéro-Club de France. La bonne saison pour donner la parole aux étudiants en médecine et en pharmacie, qui viennent de reprendre le chemin de la fac. Et ils en ont des choses à dire les carabins et autres futurs pharmaciens, car rien ne va plus dans les amphis, ni dans les services des hôpitaux universitaires. L’heure est aux coupes sombres. « Reste qu’il est difficile de concilier économies et soins de qualité », constate Lucas Denis, co-président de la Fédération nationale des syndicats d'internes en pharmacie et en biologie médicale (FNSIP-BM). « Un interne gagne 1 500 euros par mois, rappelle Antoine Reydellet, président de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI). Et avec cet argent, il doit se loger, se nourrir, s’habiller… Est-ce bien raisonnable dans une ville comme Paris, où au moins la moitié de ces 1 500 euros part dans un loyer ? » A cela s’ajoute la polémique autour de la campagne du « No free lunch », lancée sur les réseaux sociaux par l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG). De quoi s’agit-il ? L’idée est de sensibiliser les professionnels de santé et les étudiants à l'importance d'avoir une formation à la pratique médicale sans le soutien de l'industrie pharmaceutique. Et en plein procès Mediator, l’argument a du poids. « Sauf que c’est absurde de raisonner ainsi, rétorque Antoine Reydellet. Car beaucoup de spécialités, en médecine, ont besoin des laboratoires pharmaceutiques pour faire l’acquisition de matériel innovant et ainsi former les étudiants dans les meilleures conditions possibles. Public et privé doivent apprendre à travailler ensemble, sans qu’il y ait de conflit d’intérêt. Aux Etats-Unis, on sait le faire. En France, on met encore beaucoup de freins à ce type de partenariats. » Le président de l’ISNI le regrette, le déplore même, car, dit-il, « on se forme et on travaille parfois avec du matériel hors d’âge, voire sans matériel du tout ».
Pas de formation au numérique dans les facultés de santé
« Comment intégrer le numérique dans notre formation ? Aurons-nous bientôt de plus en plus de salles immersives pour pratiquer la médecine ? Et quid du contrôle des connaissances avec l’outil numérique ? Quant aux données de santé, comment vont-elles être collectées demain ? Comment vont-elles être sécurisées ? Enfin, à quoi va ressembler notre pratique quotidienne avec des objets connectés ?... » Ce sont quelques-unes des questions que Gautier Davrainville--Simonato, président de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF), a posées d’emblée pour ouvrir le débat. Des interrogations sans réponses claires aujourd’hui de la part du ministère de la Santé ou de celui de l’Enseignement supérieur, alors que la transformation du système de soins, annoncée avec le plan « Ma santé 2022 », remet à plat la sélection et la formation des professionnels de santé, notamment avec la fin du numerus clausus. Le numérique serait-il hors-sujet dans un CHU ? Que nenni. La preuve : « Dans le cadre d’une étude que nous avons menée auprès de 500 étudiants, trois sur quatre ont fait état d’un intérêt réel pour le numérique », détaille Caroline Guérin, vice-présidente industrie de l’ANEPF. Malgré cela, « aucun enseignement concernant le numérique n’est dispensé dans les facultés de santé », affirme Antoine Reydellet. Un comble à l’heure de la télémédecine, de l’intelligence artificielle et de l’arrivée des Big Tech sur le terrain de la santé, « à l’instar de Samsung qui pénètre le secteur des médicaments biosimilaires », observe Lucas Denis. Alors quelques étudiants activent le système D. C’est le cas de l’ANEPF avec son label Numeric’Action, destiné à promouvoir le numérique auprès des étudiants en pharmacie, en organisant des séminaires de formation et information. L’un d’entre eux est d’ailleurs prévu, fin novembre 2019, au CHU d’Angers, établissement hospitalier doté d’un centre de simulation, dont l’équipement permet de reproduire un scénario au plus proche de la réalité. Et pour cause : ici, les formateurs disposent de plusieurs mannequins dits « haute fidélité ». Mais tous les CHU de France ne sont pas ainsi outillés. Lucas Denis a notamment fait référence au travail de la Cour des Comptes quant à l’état de santé des CHU – travail mené en 2018 à la demande du Sénat - : un check up en demi-teinte, « où la Cour des Comptes constatait que les 30 CHU de France, qui représentent 38 % des séjours de l’hospitalisation publique, n’arrivent plus à mener leurs trois missions. A savoir : soigner, enseigner, mener des travaux de recherche ». Conséquence : « En marge de la réforme des études de médecine qui est en marche, il faut aussi repenser le modèle économique des CHU », avance le co-président de la FNSIP-BM. « Une réforme des études qui coûte cher, ajoute Antoine Reydellet : pour 10 % d’étudiants en plus dans les CHU, il faudrait débloquer 1 milliard d’euros. »
Les étudiants s’intéressent à la ruralité, la médecine de campagne et la pertinence des CPTS
Si d’aucuns pourraient reprocher aux jeunes pousses de la médecine et de la pharmacie de n’avoir encore qu’une vision très limitée du terrain, ce n’est pas le cas des étudiants et internes qui ont répondu à l’invitation de la FNIM. Que ce soit Gautier Davrainville--Simonato ou Antoine Reydellet, ils ont l’habitude de sillonner la France pour aller à la rencontre des futurs médecins, futurs pharmaciens, praticiens déjà en exercice, élus locaux, institutionnels... Le président de l’ISNI a ainsi profité de son été pour circuler dans une soixantaine de départements et prendre le pouls des professionnels de santé. Nous l’avons fait dans les Pyrénées-Atlantiques et l’on obtient déjà des résultats, ne serait-ce qu’en termes de communication et d’échanges entre les différents acteurs du système de santé au niveau de ce département. » Parce que les étudiants s’interrogent aussi sur la ruralité, l’avenir de la médecine de campagne, la pertinence des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour optimiser l’offre de soins… « Dans le cadre de l’examen de la loi santé 2022, Il a fallu 186 amendements rien que pour savoir qui allait diriger ces CPTS », ironise Antoine Reydellet. « Alors que le vrai problème, poursuit-il, c’est d’expliquer à quoi peuvent servir ces CPTS. Comment elles peuvent fonctionner en impliquant les internes. » Avis partagé par Gautier Davrainville--Simonato : « Les CPTS ont, en outre, un rôle à jouer dans la refonte des services d’urgences, complète-t-il. Ne serait-ce que pour mieux organiser la prise en charge des patients en amont et en aval d’une arrivée aux urgences. » « Surtout à l’heure où les médecins installés en zone rurale ne veulent plus travailler seuls, ni se sentir seuls, renchérit le président de l’ISNI. C’est d’ailleurs ce qui n’incite pas les jeunes médecins à visser leur plaque dans les campagnes : ils veulent des liens avec l’hôpital de proximité et avec les médecins libéraux les plus proches de leur cabinet. » Tout un maillage, donc, à réorganiser, redynamiser, et les étudiants réclament des stages au sein de ces CPTS qui se mettent peu à peu en place.
« On parle de 20 000 postes vacants de médecins dans les hôpitaux en France »
« Il faut redonner envie aux professionnels de santé d’aller travailler chaque matin. » C’est le message que les étudiants et internes ont voulu faire passer en venant débattre à la FNIM le 25 septembre dernier. « Parce que ce n’est pas normal, qu’en Eure-et-Loir, on soit passé de 7 médecins à temps partiel en 2018 à 18 en 2020 », explique Antoine Reydellet. Pas normal non plus que « beaucoup de chefs de service soient en manque d’assistants, parce que les carrières hospitalo-universitaires n’attirent plus », constate Lucas Denis. « On parle de 20 000 postes vacants de médecins dans les hôpitaux en France, rappelle le président de l’ISNI. Or, un médecin peut travailler en dehors de l’hôpital, mais un hôpital ne peut pas fonctionner sans médecins. » A cela s’ajoute des carabins de plus en plus démotivés : « On perd 20 % d’étudiants entre le 2e et la 6e année de médecine », souligne encore Antoine Reydellet. Les syndicats d’étudiants et d’interne pointent du doigt « la logique comptable » qui asphyxie les CHU. Conséquence : « Nous avons été approchés par Care pour former des internes », confie le président de l’ISNI. Il raconte, par ailleurs, que lors d’un stage au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), en Suisse, on lui a d’emblée accordé « une prime de précarité », au regard de son salaire d’interne en France. « Ils voulaient aussi m’embaucher à 24 000 euros par mois, nets d’impôts », ajoute l’intéressé. Ce qui en dit long sur l’écart des salaires d’un pays frontalier à un autre. Ce qui explique aussi pourquoi « la médecine n’est plus attractive en France », reprend Antoine Reydellet. « Même si on a le meilleur système de santé au monde », conclut Gautier Davrainville--Simonato.
Anne Eveillard