Lors de notre dernière matinale de l’année, Marc de Garidel, président du G5 santé, a dressé un bilan inquiétant de la politique de santé en France durant ces dernières années : recul important des essais cliniques, retard dans l’accès au marché des produits innovants, dégradation de la place de la France en matière de production industrielle, stagnation des exportations de médicaments. Il y a pourtant une bonne nouvelle : le gouvernement actuel, et en particulier la nouvelle ministre de la santé, a pris la mesure du problème et semble vouloir agir pour engager un redressement.
Présentation du G5 santé
« Le G5 santé est un cercle de réflexion qui réunit huit principales entreprises françaises de santé et des sciences du vivant : BioMérieux, Guerbet, Ipsen, LFB, Pierre Fabre, Sanofi, Servier et Théa qui ont choisi la France comme plateforme de leur développement international et font de l’effort de R&D leur priorité. Ces entreprises représentent, en France, la moitié des emplois de la pharmacie (47 000), 60 % de la R&D avec 3,3 Mds investis en R&D, 70% de la production industrielle (57 sites) et près de 9 Mds d’excédent de la balance commerciale. Le tiers de nos emplois sont situés en France tandis que nous exportons 85 % de notre activité. Avec 47 Mds de CA et près de 7 Mds investis dans la R&D (chiffres monde), le G5 s’affirme comme un acteur de santé mondial ».
Une schizophrénie nationale
« Durant ces dernières années et particulièrement lors du précédent gouvernement, notre secteur a souffert d’une politique contradictoire avec d’un côté des pouvoirs publics mettant l’accent sur l’innovation et l’industrie du futur, et de l’autre une régulation de court terme avec des PLFSS qui se succèdent (à chaque fois, 1,5 à 2 Mds d’économie/an qui cible le médicament) sans régler le problème de fond des déficits. Le G5 a donc décidé de rassembler des données factuelles afin de dresser un constat de l’état de l’industrie de la santé après une dizaine d’années de politiques courts-termistes ».
Un constat alarmant
« Première observation : les essais cliniques. Si la France a toujours été un terrain très favorable pour les essais cliniques, on voit que depuis 2008, la France est passée de 42% des études (phases 1 à 3) à 20% en 2016. Cette tendance révèle qu’il y a de moins en moins de nouveaux produits testés en France. Pourquoi ? Deux réponses : d’abord, la lourdeur administrative ; ainsi, les hôpitaux ont des contrats particuliers à chaque établissement, alors que chez nos voisins, notamment en Belgique, il existe une convention unique (la bonne nouvelle, c’est que nous disposons maintenant aussi d’un contrat unique). Autre handicap : les CPP* régionaux ont des délais de réponse de 9 à 12 mois (inacceptables dans un contexte concurrentiel). Seconde réponse : en quelques années, l’image de la France s’est dégradée dans l’opinion des présidents d’entreprises internationales. Pour eux (comme pour nous), notre pays ne reconnaît plus l’innovation et en partie ne veut plus la payer. Heureusement, face à ce constat, la nouvelle ministre de la santé montre une volonté d’inverser la tendance à la baisse significative des essais cliniques sur notre territoire.
Deuxième observation : la dégradation de la production industrielle. La France, qui tenait le premier rang en Europe en 2007, se retrouve 4ème en 2015 et probablement 6ème en 2017. Situation inverse en Italie qui passe du 7ème rang au 2ème en 2017 : c’est le résultat d’une volonté du gouvernement Renzi qui a fait de l’industrie pharmaceutique un axe stratégique clé pour le développement économique de la péninsule. De ce fait, les implantations d’usines ont été facilitées, les délais d’accès à l’innovation réduits et les niveaux de prix améliorés ».
Les propositions du G5
« Elles s’inspirent de l’exemple italien. Ainsi dans l’accord cadre qui a été signé en 2016, l’article 18 prévoit de prendre en compte la dimension industrielle et R&D (investissements, création d’emplois) dans la politique de prix des médicaments. Or, dans la pratique, cet accord cadre n’est pas mis en œuvre. Par ailleurs, si les exportations de médicaments ont une contribution encore positive à la balance commerciale, depuis 2011 cette contribution stagne. Ce sont les baisses de prix qui menacent les exportations des laboratoires français en raison du référencement du prix français à l’international : toute baisse de 1€ sur le prix en France entraîne une baisse équivalente à l’international et ainsi freine les rentrées fiscales en France. Le G5 défend donc une politique de prix « facial » (prix tarif/prix net) pour les produits de santé largement exportés depuis la France, ce qui permet de préserver la création de valeur sans surcoût pour l’Assurance Maladie grâce au versement de remises « produit spécifique export » sur les ventes France. Cette politique est appliquée dans plus de 10 pays européens**.
Au chapitre de la fiscalité, on est les champions européens avec 51% de taux d’imposition global (37% en Allemagne, 26% en Suisse, 20% au UK), y compris les taxes sectorielles au nombre de… 9 ! Le G5 plaide donc pour une taxe sectorielle unique, mais aussi pour que l’ANSM, qui a pâti de sa réforme en 2011, retrouve des ressources pour analyser les dossiers non seulement français mais européens, et donner un avis rapidement : en 2014, la France était tombée au niveau de Malte pour étudier les dossiers européens. Une partie des taxes pourraient être versées à l’ANSM pour qu’elle bénéficie des ressources notamment humaines et de l’expertise dans l’étude des dossiers et donc pour que la France, et par conséquent les laboratoires français cessent de se fragiliser par rapport à d’autres pays bien plus réactifs. On note aussi une dégradation très nette de la France en ce qui concerne l’accès au marché : en nombre de jours, le prix et le remboursement (hors Autorisation Temporaire d’Utilisation) atteint 408 jours en France, soit beaucoup plus que le délai légal européen de 180 jours (Allemagne, Suisse, Danemark et Autriche sont en-deçà, avec une réactivité record de 99 jours pour l’Allemagne). Enfin, si l’on compare les prix des médicaments en Europe pour les produits innovants (ASMR 1, 2), ils sont systématiquement plus élevés en Allemagne, et les plus bas en France et au Royaume-Uni. Autrement dit, la reconnaissance de l’innovation est faible dans ces deux derniers pays : les médecins commencent à alerter sur la non disponibilité de certains médicaments innovants qui, pourtant, prolongent la vie de patients atteints de pathologie graves comme notamment par exemple les cancers. Mais le gouvernement actuel a pris conscience que ce problème n’est plus acceptable ».
Une nouvelle gouvernance pour un meilleur équilibre dans la politique de régulation
« Le G5 préconise deux pistes d’amélioration : en premier lieu, il faut qu’au CEPS*** il y ait une représentation plus forte d’autres ministères (Commerce extérieur, Travail, Recherche…); en second lieu, donner aux industriels une visibilité sur 5 ans pour sécuriser l’investissement.
En conclusion, les innovations de santé changent la manière dont on traite les patients : bien utilisées, des économies conséquentes seront dégagées, par exemple en soignant les patients chez eux et non à l’hôpital, en améliorant le parcours de soins pharmaceutiques, ou en exploitant le big data en vie réelle comme cela commence à se pratiquer aux Etats-Unis. Il faut maintenant la volonté politique pour agir dans une démarche constructive avec les industriels afin que la France demeure un grand pays des sciences de la vie ».
Denis Briquet pour la FNIM
* Comité de Protection des Personnes.
** Espagne, Irlande, Italie, UK, Rép Tchèque, Slovaquie, Slovénie, Pologne, Autriche, Pays Baltes.
*** Comité Economique des Produits de Santé.