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Ils sont 11 millions en France. « Ils », ce sont les aidants, ces « invisibles » qui font beaucoup pour les autres, chaque jour, inlassablement. Mais qui sont-ils ? Quels rôles jouent-ils, tant auprès des personnes malades qu’auprès des soignants ? Leur place est-elle reconnue dans le parcours de soins ? Comment aider un aidant ?
Le 1er juillet 2020, la FNIM a consacré sa WebMatinale à cette problématique qui concerne à la fois la santé publique, le droit, l’économie et notre société dans sa globalité. Pour débattre et ouvrir des pistes de réflexion, ils étaient trois experts à répondre aux questions de Stéphanie Chevrel, vice-présidente de la FNIM : Hélène Rossinot, médecin de santé publique et auteur du livre Aidants, ces invisibles (Editions de l’Observatoire), Amarantha Bourgeois, directrice des projets de l’Association nationale JADE (Jeunes AiDants Ensemble) fondée par Françoise Ellien, et Olivier Morice, délégué général du collectif « Je t’aide ».
Quelques chiffres donnent une première idée du profil des aidants en France. D’après une étude réalisée par l’institut BVA en 2017, ils seraient 11 millions à travers l’Hexagone à apporter « régulièrement et bénévolement » de l’aide à « un ou plusieurs proches en situation de handicap ou de dépendance ». De même source : la moitié (51%) travaillent, 58% des aidants sont des femmes et 75% ont moins de 65 ans.
Parmi eux, « 500 000 au moins sont des enfants et des adolescents », souligne Amarantha Bourgeois. Directrice des projets de JADE (Jeunes AiDants Ensemble), association qu’elle a présidée de 2016 à 2018, elle s’est engagée dans cette cause parce qu’elle est elle-même aidante de sa fille aînée, polyhandicapée. « Mère de quatre enfants, je me suis intéressée à la façon dont une fratrie vit une telle situation et quelles en sont les conséquences sur le sommeil, dans la vie scolaire, dans les relations avec les autres », explique-t-elle. Ses principaux constats : « Ces jeunes apportent avant tout un soutien moral et sont fiers de ce qu’ils font. Ils participent également à la vie domestique : ils font les courses, le ménage, la vaisselle, la cuisine… Ils aident leurs frères et sœurs à faire leurs devoirs. Certains vont chercher les médicaments à la pharmacie ou encore réalisent des gestes de soins. » Amarantha Bourgeois évoque la situation d’un enfant de 12 ans qui accompagne sa mère en séance de chimiothérapie ou celle d’une fillette de 8 ans, « qui réglait la pompe à morphine de l’un de ses parents ». Résultat : la mission principale de JADE consiste à « proposer un lieu de répit aux enfants aidants pour parler, exprimer leurs craintes et leurs attentes », détaille Amarantha Bourgeois. Elle décrit des enfants qui peuvent être « fatigués, angoissés, atteints de troubles du sommeil et de l’alimentation », « qui ne se perçoivent pas comme de jeunes aidants ». Et ce d’autant plus qu’ils sont « invisibles » aussi dans la vie scolaire, « car ils n’en parlent pas, ils veulent évier les moqueries et peuvent craindre un placement en famille d’accueil ».
64% des aidants ignorent qu’ils le sont
« Les aidants sont la colonne vertébrale invisible des systèmes de santé », écrit Hélène Rossinot dans son livre Aidants, ces invisibles (Editions de l’Observatoire), ouvrage issu de sa thèse de doctorat. Médecin de santé publique, elle s’intéresse de près à ces « accompagnants », éléments clé du parcours de soins, « dont peu d’entre eux se rendent compte qu’ils sont aidants ».
En effet, selon la Fondation APRIL, 64% des aidants ignorent qu’ils le sont et que leur rôle est essentiel dans la prise en charge des personnes malades, voire dans leur guérison. Pour eux, c’est normal d’aider et d’être au chevet d’un proche, sans compter les heures. « Le temps passé à aider et la disponibilité 365 jours par an, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, c’est ce qui ressort le plus des confessions d’aidants », reconnaît Olivier Morice. Délégué général du collectif « Je t’aide », qui compte une trentaine de structures à travers le territoire et un conseil d’administration, il parle d’aidants « à charge lourde », avec « un risque d’épuisement et de burn out ». Conséquence : le thème annuel souhaité par les aidants pour 2020 a été « le répit ». Olivier Morice rappelle qu’un « droit au répit » a été instauré en 2015 pour les proches aidants des personnes âgées de plus de 60 ans en situation de dépendance, dans le cadre de la loi relative à l’Adaptation de la société au vieillissement. « Mais pour l’obtenir, c’est un vrai labyrinthe administratif », commente-t-il.
« Il n’y a pas de portrait-robot de l’aidant », ajoute Hélène Rossinot, pour rebondir sur ce droit au répit proposé uniquement aux aidants de personnes âgées : « Il y a des situations qui sortent des cases. Un enfant de 6 ans comme une personne de 95 ans peut être un aidant et aider un enfant souffrant d’une maladie chronique, un adulte handicapé ou encore une personne âgée dépendante. Je me souviens d’un homme de 60 ans, atteint d’un cancer, qui a dû retourner vivre chez ses parents de 90 et 95 ans : ils se sont occupés de lui pendant six mois. » Une implication qui reste en marge du parcours de soins. « Alors que l’aidant y a sa place », insiste Hélène Rossinot en soulignant que « l’aidant mérite son propre parcours de soins, avec suivi et soins personnalisés ».
« Il y a urgence à sensibiliser les enseignants, infirmières et psychologues scolaires… »
Pendant les deux mois de confinement, la situation s’est corsée. Car la majorité des aidants ne pouvaient plus aider à cause de périmètres géographiques, mesures de distanciation physique et autres gestes barrières à respecter. « Quelques portages de repas à domicile étaient maintenus, nuance Olivier Morice. Mais c’était insuffisant au regard des besoins, durant le confinement, des personnes habituellement aidées. »
Hélène Rossinot cite les initiatives prises par le département de l’Ile de la Réunion : « Un Groupement d’intérêt public dédié aux services à la personne a permis de créer un café des aidants, des groupes de paroles et autres séances de sophrologie pour soutenir les aidants. Cette réactivité m’a beaucoup impressionnée. »
De leur côté, les membres de l’Association nationale JADE ont créé une écoute téléphonique pour soutenir les jeunes aidants. « Nous avons pu rester en contact avec les jeunes aidants déjà repérés et accompagnés par l’association, explique Amarantha Bourgeois. Nous avons maintenu un lien avec eux, les jeunes sont restés en contact les uns avec les autres via Snapchat et Whatsapp. Mais ceux que nous ne suivions pas n’ont pas donné signe de vie… » Elle s’interroge aussi sur la façon dont les jeunes aidants ont pu, ou pas, poursuivre leurs cursus scolaires : « Font-ils partie des décrocheurs dont on a parlé durant le confinement ? » Impossible de répondre à cette question, vue la carence d’informations quant à ces jeunes aidants. « Il y a urgence à sensibiliser les enseignants, infirmières et psychologues scolaires, assistants sociaux, personnels administratifs, sur l’importance de repérer ces jeunes aidants », ajoute Amarantha Bourgeois. L’idée étant de mieux se préparer à accompagner ces enfants et adolescents, en cas de nouvelle pandémie, voire de nouveau confinement.
52% des aidants travaillent et 15% des salariés d’une entreprise sont des aidants
L’après-Covid se prépare, donc. Il s’anticipe. A condition que les politiques suivent. Le gouvernement a promis un congé proche aidant, indemnisé à hauteur de 40 euros net par jour, pour cet automne 2020. Il était temps. Car la France est en retard alors que 52% des aidants travaillent et 15% des salariés d’une entreprise sont des aidants. En Irlande, par exemple, on peut s’arrêter de travailler de 13 à 104 semaines par proche, avec une indemnisation sous condition de ressources. En outre, lorsque le salarié stoppe totalement son travail, il peut bénéficier d’un statut d’auto-entrepreneur ou d’une dizaine d’heures de formation par mois.
Hélène Rossinot cite également en exemple l’Angleterre, l’Australie ou encore Taïwan, pays doté d’un dispositif qui permet d’orienter les aidants vers des centres de prise en charge personnalisée. Amarantha Bourgeois souligne, pour sa part, l’évaluation annuelle dont bénéficient les jeunes aidants en Angleterre, pour répondre à leurs besoins de manière transversale en santé, à l’école, voire en amont de leur entrée dans le monde du travail. « Il existe une réelle prise de conscience de la problématique chez les politiques », affirme Olivier Morice. Il en veut pour preuve la mise en place annoncée du congé proche aidant, mais aussi « les réactions aux plaidoyers de notre collectif, à l’origine de beaucoup de débats sur la place et le rôle des aidants ». « Le ministère de la Santé, les députés comme les sénateurs nous ont identifiés », poursuit-il en précisant que le sort des aidants intéresse « toutes les couleurs et familles politiques ».
Un bon début. Mais Amarantha Bourgeois pointe aussi l’importance de l’implication des blouses blanches quant aux problématiques rencontrées par les aidants et en particulier les plus jeunes d’entre eux. « Les professionnels de santé doivent s’interroger sur la présence d’un enfant dans une salle d’attente, dit-elle. Il faut avoir le réflexe de lui demander ce qu’il fait là, comment il va et si on peut l’aider en quoi que ce soit. » Olivier Morice enfonce le clou : « Les aidants sont, en général, peu informés par les professionnels de santé ». Le dialogue a du mal encore à être spontané, évident, simple, facilité. « Certains se découvrent aidants lors de la Journée nationale des aidants, rappelle-t-il. Alors que l’annonce d’un diagnostic, par exemple, peut être un bon moment pour amorcer le dialogue entre un soignant et le futur aidant, pour l’aider, pour l’informer, pour commencer à l’accompagner. » « 11 millions d’aidants, c’est 11 millions de situations différentes et pour beaucoup ce qui pèse c’est le manque de reconnaissance », constate Amarantha Bourgeois.
Stéphanie Chevrel a conclu la WebMatinale en citant la représentante de l’association JADE : « Si le système de santé était une plante, les aidants naturels en seraient les racines fragiles, vitales et invisibles ».