Médecin de santé publique, fondateur de la société de conseil Public Health Expertise, acteur de la modélisation médico-économique, Martin Blachier est l’un des épidémiologistes les plus sollicités par les médias depuis le début de la crise sanitaire. Au mois de mai dernier, le journal Le Monde comptabilisait quelque 467 interviews où le médecin avait pris la parole en l’espace de treize mois. Il fait donc partie de ces « experts » présents sur les plateaux télé et les réseaux sociaux. Mais en tant qu’observateur des effets du Covid-19 et autres conséquences des actions gouvernementales, il sait aussi prendre du recul, analyser, décrypter. Alors quel regard pose-t-il sur dix-huit mois de crise sanitaire ? Quels enseignements tire-t-il de cet épisode sans précédent ? Les décisions prises sont-elles toujours les plus pertinentes ? Que pense-t-il du pass sanitaire ? Et des antivax ? Voit-il le bout du tunnel ?... Autant de questions qui lui ont été posées lors de la Matinale de la FNIM du 22 septembre 2021, organisée en présentiel dans les locaux de l’Aéroclub de France, à Paris.
« Depuis le début de la crise sanitaire, la communication est tendue entre les différents acteurs. Tout est très centralisé. Pour avoir les bonnes informations, mieux vaut s’adresser directement aux décisionnaires. » C’est le premier constat partagé par le Dr Martin Blachier, lors de la Matinale de la FNIM du 22 septembre dernier. Invité pour évoquer dix-huit mois de cohabitation avec le Covid 19, cet épidémiologiste, médecin de santé publique et fondateur de la société de conseil Public Health Expertise, a vécu cette période à la fois sur le terrain et en tant qu’expert très régulièrement sollicité par les médias. D’où son commentaire, d’entrée de jeu, sur la difficulté à obtenir données, chiffres, tendances, projections, sans passer par le ministère de la Santé, voire le cabinet du Premier ministre. Le médecin a également pointé la problématique des « fake news », essentiellement véhiculées et relayées sur les réseaux sociaux. Les messages se brouillent, embrouillent. Les débats débouchent sur des polémiques. Le grand public se méfie. Et ce d’autant que tous les médecins, scientifiques, politiques, qui s’expriment sur le Covid-19, ne sont pas tous d’accord entre eux. Du coup, la surinformation se fait confusion, hésitation, incompréhension. A cela s’ajoute un certain mimétisme au niveau international, que regrette d’ailleurs Martin Blachier : « Tous les pays s’observent. Ils se suivent. Difficile de ne pas faire comme le voisin. »
« En hiver, le taux de reproduction du virus grimpe de 0,5 »
Lorsqu’il observe la situation sanitaire en ce début d’automne 2021, Martin Blachier admet que les contaminations sont « à la baisse ». Autrement dit : vaccination, pass sanitaire et période estivale ont permis d’atteindre un taux de reproduction du virus (R) proche de 0,8. D’où les récentes prises de parole plutôt rassurantes d’Olivier Véran. Le ministre de la Santé reconnaît que, depuis la mi-août, les contaminations reculent et les hospitalisations en soins critiques sont également en régression. La situation s’est bel et bien améliorée. Le rebond tant redouté de la rentrée n’a pas eu lieu. « Sauf qu’en hiver, le R grimpe de 0,5, souligne Martin Blachier. Et pour maintenir le R à 1,1, il faut recourir au télétravail, au couvre-feu, à la fermeture de certains lieux ou commerces... » Pour le médecin de santé publique, « dès l’entrée dans l’automne, le risque de reprise épidémique de Covid-19 existe ». En effet, fin septembre 2020, l’épidémie est repartie de plus belle. « Un scénario qui peut se reproduire d’ici à trois semaines. Les simulations de l’Institut Pasteur montrent que l’arrivée de l’automne peut réactiver la propagation du virus », poursuit Martin Blachier. Le pass sanitaire ne serait donc pas suffisant pour stopper l’épidémie. « On ne sait rien de l’efficacité du pass, surtout en hiver », commente le médecin de santé publique. Dans un tel contexte, « on ne peut rien prédire ». Et ce d’autant que l’on reste sur sa faim quant à la vaccination de tous les salariés, « où rien n’a encore été clairement décidé ». Rien de fluide non plus dans le retour en cours des écoliers, collégiens, lycéens, étudiants…
La situation danoise difficile à reproduire en France
« La fermeture des classes dans les écoles, au moindre cas contact, est un choix contraignant pour les enfants, alors qu’ils sont moins touchés par la maladie que les adultes », déplore Martin Blachier. « Il suffit de retirer uniquement l’enfant testé positif, explique-t-il. Car, en fermant une classe, on complique plus le fonctionnement du système éducatif, et le quotidien des parents qui doivent garder les enfants, que le Covid en lui-même. En outre, on ne sait pas si cette solution est vraiment efficace. » Martin Blachier ne mâche pas ses mots. Depuis le début de la crise sanitaire, il n’hésite pas à dire et pointer du doigt les défaillances de certaines décisions, les incohérences de certains choix ou autres modèles à ne pas forcément dupliquer. A l’instar de la levée, début septembre 2021, de toutes les restrictions sanitaires au Danemark, où l’épidémie est considérée « sous contrôle » par les autorités sanitaires. Pour le médecin de santé publique, c’est une situation difficile à reproduire en France. Pourquoi ? « Parce que les Danois ont vacciné la totalité de leur population vulnérable. » A savoir, les personnes âgées. Ce qui n’est pas le cas en France, où quelque 15% des plus de 65 ans n’ont pas encore reçu leurs deux doses. Un pourcentage trop élevé, pour imiter le Danemark, selon l’Institut Pasteur. Martin Blachier, pour sa part, suggère de « rendre la vaccination obligatoire pour les populations vulnérables », afin d'éviter une nouvelle vague épidémique. « Une personne âgée entre 65 et 75 ans a 40 fois plus de risque de mourir du Covid qu’un individu de moins de 55 ans », rappelle le médecin. Il ajoute : « Parmi les principaux enseignements de la crise sanitaire, on trouve la généralisation du télétravail, la révolution technologique qui permet de développer des médicaments en un temps record, mais aussi la rupture générationnelle. La problématique liée au vieillissement de notre population passe avant celle du changement climatique. Car notre pays a la plus grande espérance de vie après 65 ans au monde. Et, dans le même temps, la France est le pays qui finance le plus la prise en charge des ALD : ce qui coûte cher. Il va donc falloir que l’on adopte de nouvelles stratégies à destination des plus âgés. Cette pression démographique doit faire réfléchir. Or, pour le moment, ce thème est totalement absent des premiers débats de la campagne pour l’élection présidentielle. »
« Cela ne sert à rien de doubler un test antigénique d’un test PCR »
Quid des antivax ? Martin Blachier rappelle qu’ils ne sont pas apparus avec le Covid 19. « Ils militent et se font entendre depuis longtemps. » Rien de nouveau, donc. Le médecin les classent parmi les « résistants ». Des « résistants » qui risquent bien de le rester, même lorsque les tests seront payants à partir du 15 octobre 2021. Pour l’épidémiologiste, seuls ceux dont les salaires seront menacés, faute de pass sanitaire ou de test positif, vont se faire vacciner. « Mais la mesure ne devrait pas convaincre les 10 à 15% toujours opposés au vaccin », dit-il. Un constat qui conduit Martin Blachier à évoquer « la fortune faite par les fabricants de tests », alors que, poursuit-il, « cela ne sert à rien de doubler un test antigénique d’un test PCR ». En effet, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), entre le 26 juillet et le 1er août 2021, quelque 4 118 800 tests RT-PCR et antigéniques ont été validés (dont 54,9% de tests antigéniques), contre 3 607 400 (dont 52,4% de tests antigéniques) la semaine précédente. Soit une augmentation de 511 300 tests du SARS-CoV-2, liée au déploiement progressif du pass sanitaire.
« Deux médecines » et « des licornes dans le secteur de la biotechnologie »
A la question, « vers quel système de santé va-t-on ? », Martin Blachier répond : « Vers un système à l’anglaise. » C’est-à-dire, d’un côté « un service minimal de santé pour tous », type National health service (NHS), système de santé publique mis en place au Royaume-Uni. De l’autre, un système privé. L’épidémiologiste parle de « deux médecines », avec en parallèle la volonté du gouvernement de « créer des licornes dans le secteur de la biotechnologie ». Le 29 juin dernier, lors de la réunion du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS), Emmanuel Macron a annoncé un plan de 7 milliards d’euros pour favoriser l’innovation pharmaceutique d’ici à 2030. Le président de la République s’est ainsi fixé deux objectifs : produire au moins cinq nouveaux biomédicaments d’ici à 2026 et doubler le nombre d’emplois dans ce secteur. « Nous sommes obligés de nous repenser », reconnaît Martin Blachier. Lorsqu’il se projette dans l’avenir, il reste optimiste tout en multipliant les nuances : « Nous aurons moins de liberté, avec en toile de fond le vieillissement de la population et le réchauffement climatique. Nous serons obligés d’avoir des limites, nous contrôler, apprendre à vivre avec un quota de vols en avion et de kilomètres parcourus en voiture. Fini le carpe diem ! » Il parle aussi d’un « monde de systèmes », « avec une manière de vivre en Chine, une autre aux Etats-Unis, une autre encore en Europe… » « Je garde la foi, dit-il. Mais, dans le futur, la vie sera différente, avec une jeunesse déjà bien consciente de l’importance de préserver la nature. Il va falloir nous adapter. »