Le parcours de soins, on en parle depuis 2004, avec la loi Douste-Blazy, relative à l’assurance maladie. Mais sa mise en œuvre sur le terrain n’est pas si évidente. Patients et soignants se sentent parfois un peu perdus au milieu d’un dispositif, dont ils ne maîtrisent pas toujours le mode d’emploi. D’où certaines expériences d’accompagnement menées avec tous les acteurs de santé pour les former, les informer, mais aussi pour nouer des liens forts entre médecine de ville, hôpital, associations de patients, élus locaux… Comment se construit un parcours de soins ? Quels sont les écueils à éviter ? De quelle façon l’industrie pharmaceutique peut-elle se mobiliser ? Quelle est la différence entre parcours de soins et parcours de santé ? Quels sont les premiers résultats des expériences menées ?... La Web Matinale de la FNIM du 31 mars 2021 a été l’occasion de poser ces questions à un duo d’experts, composé du Dr David Laplanche, médecin DIM (Département d’information médicale) de territoire, également responsable du Pôle territorial santé publique et performance Hôpitaux Champagne Sud, et de Carmen Landin, à la tête de l’équipe « parcours de santé » au sein du laboratoire pharmaceutique MSD.
Le parcours de soins, on en parle depuis longtemps. Dès le milieu des années 2000, les politiques ont mis en avant la pertinence à encourager la coopération entre soignants, dans la prise en charge et le suivi des pathologies chroniques. Et pour cause : médecins généralistes, spécialistes, libéraux et hospitaliers, pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes… tous sont impliqués et sollicités dans le traitement et l’accompagnement de personnes atteintes d’un diabète, d’un cancer, d’une insuffisance cardiaque... Malgré cela, sur le terrain, ces acteurs de santé ont parfois du mal à communiquer ensemble, mais aussi avec les soignés, associations de patients jusqu’aux élus locaux, faute de temps, faute de structure pour fédérer leurs compétences, faute de financement. Pourtant, en mars 2012, une approche assez claire a été faite du parcours de soins, dans un avis du Haut conseil pour l'Avenir de l'Assurance maladie (HCAAM) : « L’attention portée à la qualité d’un « parcours » suppose de passer d’une médecine pensée comme une succession d’actes ponctuels et indépendants à une médecine qu’on peut appeler de « parcours ». C’est-à-dire une médecine – entendue plus largement que les actes des seuls médecins – dont l’objectif est d’atteindre, par une pratique plus coopérative entre professionnels et une participation plus active des personnes soignées, à une qualité d’ensemble, et dans la durée, de la prise en charge soignante... » Aujourd’hui encore, la loi « Ma Santé 2022 » maintient la pertinence du parcours de soins, tout en y ajoutant l’agilité du digital. Reste à concrétiser, dupliquer, généraliser, puis évaluer ce dispositif. D’où le travail mené par le Dr David Laplanche, médecin DIM (Département d’information médicale) de territoire et responsable du Pôle territorial santé publique et performance Hôpitaux Champagne Sud. En partenariat avec la Fédération hospitalière de France (FHF), il participe au pilotage d’une expérimentation débutée en 2018, qui repose sur « la responsabilité populationnelle ». Ce modèle d’intégration clinique cible trois objectifs : une meilleure santé, une meilleure prise en charge et un meilleur coût, pour une population définie. En l’occurrence, ici, des personnes atteintes d’un diabète de type 2 et/ou d’une insuffisance cardiaque. Dans la logique des « expérimentations innovantes en santé », intégrées dans le volet IPEP (incitation à une prise en charge partagée) de l’article 51 de la loi « Ma Santé 2022 », ce dispositif déploie des programmes cliniques élaborés par l’ensemble des acteurs de santé de cinq territoires volontaires et de cinq GHT (groupements d’hospitaliers de territoire). A savoir : l’Aube et le Sézannais, la Cornouaille, les Deux-Sèvres, le Douaisis et la Haute-Saône, qui comptent, à eux cinq, près d’un million et demi d’habitants.
Des réunions cliniques menées dans cinq territoires pionniers
« Une quarantaine de soignants, représentants d’associations de patients, patients experts et représentants d’institutions (ARS, CPAM, MSA…) ont participé à chacune des réunions cliniques menées dans les cinq territoires pionniers, sur une période de six mois. Ils ont échangé, partagé, débattu de leurs retours d’expériences… Et, actuellement, nous sommes dans la mise en place, sur le terrain, des dispositifs et bonnes pratiques élaborés par l’ensemble de ces acteurs », détaille le Dr David Laplanche. Le modèle est donc entré dans sa phase opérationnelle, car il a montré sa capacité à mobiliser et engager, côte à côte, soignants et soignés. Il a permis aussi de dessiner les contours de parcours structurés, capables d’optimiser les ressources sanitaires et sociales d’un territoire. Un exemple : en une année, un patient diabétique peut voir au moins six fois un médecin généraliste, quatre fois un diabétologue, une fois un ophtalmologiste, de deux à quatre fois une diététicienne, consulter un pédicure-podologue ou encore, si nécessaire, solliciter un psychologue et/ou réaliser un bilan sport-santé. Ce qui implique, à terme, que tous ces acteurs de santé communiquent entre eux, dans le cadre d’un parcours de soins et même d’un e-parcours. Car le digital est inévitable. D’après la loi « Ma Santé 2022 », d’ici au 1er janvier 2022, tous les patients auront leur propre espace numérique de santé, afin de simplifier le parcours de soins de chacun et fluidifier les échanges de la transmission d’informations entre professionnels de santé. En pratique, cette mise en commun de données et connaissances permet non seulement de confronter les points de vue de différents professionnels, mais aussi de décloisonner secteurs public et privé. Car, sur le terrain, le Dr David Laplanche s’est aperçu que tous les acteurs impliqués sur une même thématique de santé publique ne se connaissent pas toujours, au risque de faire des doublons dans leurs actions ou de ne pas les coordonner pour une meilleure prise en charge des patients. « Il faut créer du lien », insiste le praticien. Autre écueil : le manque de données clés, telle que la partie médicamenteuse du traitement d’une pathologie, dont on attend un avis qui fait débat au sein d’une société savante. Car la réactivité fait aussi partie d’un parcours de soins réussi. Surtout à l’heure du digital et des informations partagées en temps réel.
« Rôle de facilitateur » et « dynamique d’équipe »
Le parti pris pour une approche pluridisciplinaire de la prise en charge des patients incite le Dr David Laplanche à parler plutôt de « parcours de santé » que de « parcours de soins ». « C’est plus inclusif, dit-il. Il y a une dimension sociale qui englobe tous les acteurs, les médecins comme les paramédicaux, jusqu’aux assistantes sociales. » Avis partagé par Carmen Landin. Avec l’équipe « parcours de santé », qu’elle chapeaute au sein du laboratoire MSD, elle accompagne les professionnels de santé dans le domaine de l’oncologie. Conscient de l’impact organisationnel des innovations thérapeutiques, MSD a créé en 2015, une équipe dédiée au parcours de santé. « Nous sommes un laboratoire d’innovation et nous nous engageons auprès des professionnels de santé pour les accompagner dans les adaptations des prises en charges induites par les innovations thérapeutiques. » Pour l’oncologie, « nous travaillons avec les services d’hôpital de jour ». Elle parle d’un « rôle de facilitateur » et de création d’une « dynamique d’équipe », pour soutenir un projet mené par des professionnels de santé et la direction d’un établissement, « en vue d’améliorer la prise en charge globale des patients ». Un travail qui commence par un diagnostic. C’est-à-dire l’analyse de la coordination des professionnels de santé dans la prise en charge, le temps observé lors d’un passage en hôpital de jour et l’expérience patient. « Ensuite, on identifie les points de rupture, les améliorations à apporter et le plan d’action à déployer », explique Carmen Landin. « Nous travaillons avec l’équipe pluridisciplinaire de l’établissement », rappelle-t-elle. Elle parle aussi d’une « co-construction de solutions ». A titre d’exemples, les principales thématiques engagées avec succès portent sur l’anticipation de la préparation des traitements, la fluidification des hôpitaux de jour, la mesure de l’expérience patient, le rôle de l’infirmier en pratique avancée... L’idée étant d’accompagner un projet « sans rien imposer ». Et pour prolonger cet engagement, des « journées d’échanges autour des parcours » sont organisées avec la vingtaine d’établissements déjà accompagnés par MSD. A cela s’ajoute un site Web (parcoursonco.fr) et un autre destiné au grand public (mon-cancer.com), qui délivre des informations pratiques et pédagogiques pour les patients et leurs proches.
« Il est difficile de n’avoir qu’un seul modèle, au regard des spécificités locales »
Dans un tel contexte, quid des évaluations de ces différentes expérimentations ? Du côté de la « responsabilité populationnelle », le Dr David Laplanche se projette à 2022, voire 2023, « pour avoir les premiers résultats probants ». Mais, d’ores et déjà, sur les territoires pionniers, il fait état d’un projet de Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), de la mise en place d’un Contrat local de santé ou encore d’une piste en cours avec un GHT ciblé sur la BPCO. Par ailleurs, cette année, la FHF a prévu d’accompagner une vingtaine d’établissements de santé qui souhaitent améliorer l’expérience patient dans leurs parcours de soins. Pour cela, la FHF leur a donné la possibilité d’adhérer gratuitement, pendant un an, à l’Institut français de l’expérience patient (IFEP). Quant à Carmen Landin, elle reconnaît ne pas avoir accès aux informations concernant les patients, « mais plutôt à des indicateurs, comme le taux de rotation des places en hôpital de jour, par exemple ». « Nous avons un regard plus distancié. Nous prenons du recul dans une logique d’analyse de retours d’expériences », poursuit-elle. Et ce d’autant que dans une spécialité telle que l’oncologie, « il est difficile de n’avoir qu’un seul modèle, au regard des spécificités locales ». Enfin, le Dr David Laplanche souligne une écoute de la part des Ordres professionnels et des Agences régionales de santé quant au travail mené autour de « la responsabilité populationnelle ». Toutefois, il a profité de cette Web Matinale de la FNIM et de la présence de Carmen Landin, pour rappeler qu’aucun laboratoire pharmaceutique n’est encore partenaire des expérimentations menées par la FHF. Mais il s’est dit « ouvert », « surtout pour un appui institutionnel comme ce que fait MSD avec les établissements de santé dans le domaine de l’oncologie ».