Cédric Arcos, Maître de conférences à Sciences Po, et l’économiste Frédéric Bizard étaient les invités de la FNIM, le 26 mars 2019 à l’Aéro-Club de France, à Paris. Les deux spécialistes des politiques de santé ont passé en revue les points forts, mais aussi les lacunes et faiblesses de la loi de santé. Composée d’une vingtaine d’articles, elle doit entériner la transformation du système de soins amorcée avec le plan « Ma santé 2022 » et certaines dispositions du PLFSS 2019. Arrivée en commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale le 12 mars dernier, ce texte devrait être voté d’ici à cet été.
« Si pour la sélection et la formation des professionnels de santé, la nouvelle loi de santé présente des évolutions importantes, pour le reste, elle ne représente pas un bouleversement majeur et s’inscrit dans la continuité des précédentes réformes, notamment concernant les coopérations territoriales », a d’emblée expliqué Cédric Arcos. Pour l’enseignant à Sciences-Po, également directeur général adjoint du Conseil régional d’Ile-de-France, « cette nouvelle loi poursuit le long chemin entamé voilà près de 30 ans concernant l’organisation du système de santé ». Il reconnaît toutefois que « plusieurs évolutions importantes sont envisagées, en matière de gouvernance notamment, mais celles-ci relèveront des ordonnances et non de la loi, rendant complexes les analyses ». Les enjeux sont pourtant majeurs : vieillissement de la population, forte augmentation des maladies chroniques, accélération des progrès technologiques, apparition des nouvelles thérapeutiques ou encore arrivée du numérique… Mais au regard du texte, composé de 4 titres et 23 articles, d’aucuns restent perplexes sur la réponse du plan « Ma Santé 2022 » à ces défis d’avenir pour le système de soins. A l’instar de Cédric Arcos et de l’économiste Frédéric Bizard, tous deux invités par la FNIM à débattre sur cette loi santé, le 26 mars dernier à l’Aéro-Club de France, à Paris.
La révision du numerus clausus « semble aller dans le bon sens »
« Bien que les nouvelles modalités de sélection ne soient pas encore explicites, la restructuration de la formation médicale – initiale et continue - semble aller dans le bon sens », a reconnu Frédéric Bizard d’entrée de jeu. Il parle de « coup de pied dans la fourmilière » pour le bien des carabins. Avis partagé par Cédric Arcos pour qui la révision du numerus clausus « va évidemment dans le bon sens ». Mais c’est bien le seul point positif de la loi de santé, au regard de Frédéric Bizard. « On croit encore que tout doit partir de l’hôpital, déplore l’économiste. A titre d’exemple, il existe un forfait hospitalier pour les personnes diabétiques, or celles-ci ne mettent quasiment jamais les pieds à l’hôpital. Il est urgent de passer d’une logique d’offre à une logique de demande. » Face à la transition technologique, l’économiste prône également « une stratégie qui ne se focalise plus seulement sur le soin mais aussi sur le maintien en bonne santé ». La vision doit être « globale », souligne Cédric Arcos. Fini les querelles de chapelle et « les réunions portes fermées au ministère de la Santé », comme dit Frédéric Bizard : « Il faut changer la façon de piloter le système de santé. » Surtout à l’heure où chaque directeur général d’Agence régionale de santé (ARS) a les mains liées, « en prise à des conflits d’intérêt en permanence », pointe encore l’économiste. « Il est le seul à décider, poursuit-il. Car il n’y a que des strapontins pour les soignants et autres associations de patients. En même temps, chaque patron d’ARS est comme un roi nu, car révocable à chaque conseil des ministres. » Pour Cédric Arcos, « les ARS souffrent aujourd’hui d’un manque d’autonomie et sont parfois victimes du pilotage très descendant du système de santé, alors que l’urgence est de penser et de conduire le système de santé depuis et par les territoires ».
« Il faut développer les partenariats avec les régions »
« Cette loi est encore un rendez-vous manqué avec les territoires », affirme Cédric Arcos. Il s’explique : « L’avenue de Ségur guide toutes les décisions. Or il faut développer les partenariats avec les acteurs de terrain et notamment avec les régions pour redynamiser le système de santé. Ces partenariats sont essentiels si nous voulons faire de la santé un élément clé des politiques territoriales, à l’instar des politiques conduites à l’étranger et qui fonctionnent. » Il s’agit, selon lui, de définir « un projet politique global de santé, destiné à la fois à rendre le territoire attractif aux professionnels de santé et à faciliter l’accès aux soins pour les patients. Et ce, à travers des actions sur les logements, les transports, les activités sportives… » Pour le directeur général adjoint du Conseil régional d’Ile-de-France, la transversalité et le décloisonnement tant vantés par la loi de santé prendraient une nouvelle dynamique sous cette forme. Mais pas forcément en confiant le droit de prescrire aux pharmaciens selon Frédéric Bizard , « car le décloisonnement ne doit pas gommer les différences entre les différents acteurs : un pharmacien n’a pas reçu la même formation qu’un médecin ». Le mélange des gens et des genres ne semble pas convaincre l’économiste. Pas plus d’ailleurs que la généralisation des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), prônée par la loi. « Le texte manque sa cible sur ce point, car il ne définit ni l'unité géographique, ni la composition, ni les missions de cette nouvelle gouvernance territoriale », détaille l’économiste. Pour lui, mieux vaudrait « définir le territoire de santé à partir des bassins de vie » et « concevoir une gouvernance représentative des acteurs de santé » : « Le territoire deviendrait ainsi le nouvel échelon géographique de gestion de la santé des citoyens, sur lequel les professionnels de santé pourraient être responsabilisés et évalués. »
« Difficile de décloisonner si on renforce le rôle des groupements hospitaliers de territoire »
Autre inquiétude de Frédéric Bizard : « Si la loi cherche à décloisonner l’offre de soins à tous les niveaux , pourquoi renforce-et-elle le rôle des groupements hospitaliers de territoire (GHT) ? » Elle leur donne, en effet, un pouvoir plus fort d'intégration des établissements, le pilotage des ressources humaines et celui du projet médical des établissements (en créant une CME de GHT). « Pilotés par les agences régionales de santé (ARS), ces nouveaux groupements fonctionnent de façon technocratique et éloignée des réalités du terrain, ajoute l’économiste. Leur renforcement aura le double effet d'intensifier la gestion auto-centrée de l'hôpital public d'une part et de déstabiliser plus encore le fonctionnement interne des hôpitaux d'autre part. » Plutôt que de concentrer le pouvoir hospitalier dans « une nouvelle gouvernance étatique infra-régionale », Frédéric Bizard suggère de « renforcer l'autonomie de gestion et de décision des établissements pour inciter à l'innovation, à la valorisation des initiatives individuelles et à la coordination avec les professionnels de santé de ville ». De son côté, Cédric Arcos remet en cause le « double pilotage » mené par le ministère de la Santé et l’Assurance maladie : « Cela engendre deux politiques de santé et deux logiques à l’œuvre sur le terrain. » Et donc pas de quoi harmoniser, voire faciliter les liens entre pratique libérale et système hospitalier.
Nouvelles thérapeutiques, recherche et virage numérique : aux abonnés absents…
Enfin, Frédéric Bizard et Cédric Arcos regrettent le manque d’objectifs et de vision quant à l’innovation, les nouvelles thérapeutiques, la recherche et le virage numérique que la France tarde à prendre. « L’Etat français va consacrer une enveloppe de 50 millions d’euros sur trois ans – de 2019 à 2022 - pour créer l’espace numérique personnel, quand outre-Manche, il a fallu 30 milliards de livres pour le faire… Ce n’est pas très crédible », commente l’économiste. Il déplore, en outre, le mutisme de l’avenue de Ségur sur l’innovation biothérapeutique - « il n’y a pas un mot dans la loi de santé sur ce point » - et s’interroge sur le mutisme de l’industrie pharmaceutique quant au contenu de la loi dans son ensemble. A l’issue de la matinée d’échanges organisée par la FNIM, Frédéric Bizard et Cédric Arcos ont clairement fait comprendre qu’ils restaient sur leur faim face au texte d’une loi qui devrait être votée d’ici à cet été. Beaucoup d’enjeux restent selon eux à traiter d’urgence, nécessitant un grand débat politique sur les questions de santé et non pas seulement des échanges entre experts.
Cédric Arcos : de Lyon à l’Ile-de-France
Expert reconnu du monde de la santé, Cédric Arcos est actuellement directeur général adjoint du Conseil régional d’Ile-de-France, en charge des politiques sportives, de santé, de solidarités et de modernisation. Fervent défenseur de la nécessité d’une approche territoriale pour les politiques de santé et de solidarité, il accompagne Valérie Pécresse dans le déploiement de la politique de Région Solidaire. Enseignant à Sciences Po Paris, il a contribué à concevoir et mettre en œuvre des réformes hospitalières clés en tant que délégué général adjoint de la Fédération Hospitalière de France (FHF) et de directeur au sein de la direction générale du CHU de Lyon. Il est diplômé de Sciences Po, de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP) et de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN). En 2018, il a par ailleurs intégré le prestigieux classement de l’Institut Choiseul des « 100 leaders économiques de demain ».
Frédéric Bizard : de véto à Sciences Po
Economiste, Frédéric Bizard est spécialisé sur les questions sociales, dont la santé. Il enseigne à Sciences Po Paris et mène en parallèle de nombreux travaux de recherches en économie. Expert reconnu du secteur de la santé à l’international, il conseille actuellement certains gouvernements étrangers, notamment de pays émergents, sur l’évolution de leur système de santé. Frédéric Bizard est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris (section économie et finance) et du Master of Business Administration (MBA) de l’INSEAD. Il est également Docteur Vétérinaire, diplômé de l’École nationale vétérinaire de Maisons-Alfort et de la faculté de médecine de Créteil.