Prévention 2.0 : du bien être à la médecine
Les outils numériques peuvent-ils faire progresser une pratique loin d’être évidente comme celle de la prévention ? Si chacun admet qu’il vaut mieux prévenir que guérir, passer de la parole aux actes reste difficile en raison de réflexes culturels qui favorisent l’aspect curatif (on soigne un malade), dans lequel le professionnel de la santé joue un rôle éminent, par rapport au préventif (on se soigne pour éviter de tomber malade). Les nouveaux outils numériques mis sur le marché pourront-ils inverser la tendance ? Réponses en compagnie des nombreux intervenants invités à la matinale Prévention 2.0 organisée mi-novembre par Doctors 2.0 & You, dont la FNIM est un partenaire historique, dans l’auditorium d’AXA Assurance, grand partenaire de cette série de matinales.
Introduction, par Denise Silber, fondatrice Doctors 2.0 & You
« Il est très difficile de demander à un individu de faire un effort de prévention, de plus dans la durée, alors que le problème est inexistant » a déclaré Denise Silber dans son introduction à la matinale. « Les campagnes de santé publiques pâtissent d’un manque de moyens car prévenir n’est pas considéré comme une priorité et nous ne savons pas ce qui est efficace comme moyen. Le Lancet, qui a publié une étude sur le rôle potentiel de Twitter dans la santé publique, a remarqué que sur plus de 120 000 individus qui ont twitté durant deux semaines à propos du bronzage artificiel, seulement 3% ont mentionné les dangers (brûlures, cancer) de cette pratique. Twitter a donc un potentiel non utilisé. Le CNGPO utilise Facebook pour attirer les Français en officine au titre de la prévention cardiovasculaire. En plus des réseaux, il y a aujourd’hui énormément d’applications mobiles consacrées à la prévention ainsi que des serious games grand public, des outils de simulation (3D ou réalité augmentée) pour professionnels et des objets connectés (e-cigarettes, montres, bracelets, brosses à dents, lentilles de contact, piluliers intelligents, T-shirts etc) ».
Les intervenants
Nathalie Bissot-Campos, Association Maladies Foie Enfants (parents d’enfants malades) :
« Nous avons mené une campagne de dépistage des maladies du foie du bébé. Ces pathologies concernent 1 nourrisson sur 2500. Actuellement, le dépistage se fait à 60 jours après la sortie de la maternité ; or, notre objectif est de le ramener à 30 jours. D’où l’idée du spot « La Minute blonde » pour l’alerte jaune, campagne audacieuse de sensibilisation de la couleur des selles du bébé – spot qui a reçu le Grand Prix du Festival de la santé 2013 ».
Beate Bartès, fondatrice de l’association Vivre Sans Thyroïde :
« J’ai été opérée d’un cancer de la thyroïde en 2000. A l’époque, il n’y avait pas d’informations sur internet, les forums ou portails n’existaient pas. Alors, une fois guérie, j’ai décidé de faire partager mon expérience en créant un forum. Il y a deux ans, j’ai rencontré un problème de poids dû au stress professionnel, à la mauvaise alimentation et au manque d’exercice physique. Résultat : un taux de glycémie anormal et de l’hypertension. Je me suis donc reprise en main en achetant un podomètre, en marchant puis en courant (utilisation de Runtastic puis Fitbit). Et mon état de santé s’est considérablement amélioré ! »
Ayméric Legrand, gestionnaire de projets dans la start up Umanlife :
« Umanlife se positionne comme un outil de prévention qui s’appuie sur le potentiel de l’internet des objets et l’analyse de données. Umanlife est une plateforme web et mobile qui permet de centraliser et gérer l’ensemble des données liées à la santé et à l’hygiène de vie. Concrètement, il s’agit d’un carnet de santé digitalisé autour duquel s’articule des modules de suivis thématiques (sport, nutrition, sommeil, grossesse, addictions…). Les informations, qui proviennent d’objets connectés, des applis mobiles et de nos propres applis, sont centralisées sur un tableau de bord personnel (les données sont stockées chez un hébergeur agréé). Au centre de l’écran du tableau de bord personnel se trouve la zone de conseil qui est au cœur de notre concept : grâce à un algorithme, nous pouvons faire du profilage et donc proposer des conseils. Précisons enfin que la zone de conseil, véritable coach numérique personnel, ne se confond ni avec la télémédecine, ni avec le Dossier médical personnalisé ».
Laurence Marchal et Sigrid Roger Jaud, laboratoire Expanscience :
« Nous sommes chargées des projets digitaux au sein du laboratoire qui a développé une stratégie digitale pour le traitement de l’arthrose (le site arthrolink.com existe depuis 17 ans). Orientée produit au début, elle se tourne aujourd’hui vers l’offre de services. L’idée est d’accompagner le parcours de santé des arthrosiques. En plus du site Arthrolink, nos comptes sur les réseaux sociaux, un serious game pour les pharmaciens, nous avons créé un dispositif sur-mesure baptisé Arthrocoach, gratuit et accessible sur ordinateur, tablette et smartphone. Ce dispositif, mis au point avec l’aide des rhumatologues, est destiné à aider les patients qui le souhaitent à modifier durablement leur vie, pour moins souffrir de l’arthrose, grâce notamment à l’intervention d’une coach nutritionnelle et d’une coach d’activités sportives ».
Alice Bovyn-Marcillaud, start up Smartsanté :
« Smartsanté est une start up spécialisée dans les services et technologies focalisés sur le risque cardio-vasculaire. Pourquoi ? Parce que ce risque concerne tout le monde et pas seulement les seniors : via l’AVC, c’est la première cause de décès chez les femmes. Il y a donc un réel enjeu de santé publique, même si les connaissances sur le sujet sont à la fois nombreuses et avancées. De plus, les nouvelles technologies digitales peuvent nous aider à mettre en œuvre les bonnes pratiques : internet, objets connectés (tensiomètre connecté). Mais ces objets connectés ont une valeur limitée si les données recensées ne prennent pas en compte le profil de santé complet. C’est pourquoi nous avons proposé la solution Cardiosens qui évalue et suit les risques cardio-vasculaires. Le cahier des charges de Cardiosens repose sur trois piliers : accessibilité, simplicité et sécurité ».
Dr Guillaume Marchand, DMD Santé :
« Aujourd’hui, nous avons évalué plus de 850 applications mobiles de santé. Et parmi celles-ci, les applis dédiées aux seniors. Mais au fait, à partir de quel âge sommes-nous vieux ? Pour définir la catégorie « vieux » ou « personne âgée » dans le domaine de la santé, je propose deux items : le dépistage et le contexte polypathologique. A partir de là, on se retrouve avec un nombre gigantesque d’applis : suivis médicamenteux, bouquets de services sur smartphone (GPS pour localiser les pharmacies de garde), outils de stimulation cognitive… Nous avons très peu de recul par rapport à ces multiples et récentes applis. Mais, par ailleurs, nous savons quand même qu’indépendamment de l’efficacité des applis, le meilleur support pour les personnes de plus de 75 ans, c’est la tablette, pas le smartphone. Nous savons de plus, qu’en termes d’efficacité ou de qualité globale, 1 appli sur 5 est retenue par les utilisateurs et c’est une proportion qui n’évolue pas dans le temps : on n’imagine pas acheter en pharmacie 5 médicaments dont 1 seulement est efficace. Selon notre dernière enquête de mars 2014, 42% des applis sont désinstallées après un premier lancement et 90% après le cinquième lancement. Ce sont donc des scores médiocres pour les applis mobiles, lesquelles doivent ainsi prévoir des dispositifs post lancement pour faire revenir les utilisateurs ».
Rémi Rousseau, Surgevry (Oculus Rift) :
« Le dispositif Oculus Rift est un outil (casque) de réalité augmentée (3D) à destination des chirurgiens et en particulier des internes qui, la plupart du temps, du fait de leur position en retrait, ont des difficultés à apprécier et même à voir les gestes du chirurgien confirmé. Grâce à Oculus Rift, le chirurgien en apprentissage est en quelque sorte aux premières loges, il se retrouve en immersion à la place du chirurgien confirmé*. La technologie de ce casque repose sur ce que les neurosciences appellent les neurones miroirs qui nous aident à reproduire des situations observées. Le procédé Oculus Rift peut aussi s’appliquer en tant qu’aide à l’anesthésie ou chez le dentiste comme distraction de la douleur. Le procédé est aussi prometteur pour le traitement des phobies ».
Alexis Mathieu, FeetMe (prévention du pied diabétique) :
« A l’origine de notre innovation, il y a une question – comment, en 2014, peut-on encore perdre un pied diabétique ? – et un constat : dans le monde, une amputation du pied diabétique se produit toutes les 20 secondes. Il faut aussi savoir que le nombre de diabétiques dans le monde s’élève à 382 millions. D’où l’ambition internationale de notre projet, d’où aussi son nom de FeetMe. 20% des diabétiques sont atteints de neuropathie, c’est-à-dire qu’ils ne sentent plus l’extrémité de leurs membres. En cas d’hyper-pression sous les pieds (cailloux, ampoules), ils ne réagiront pas, des plaies vont se former, se compliquer, jusqu’à l’inévitable amputation. On a ainsi développé une semelle munie d’une centaine de capteurs de pression connectés en bluetooth au smartphone du patient qui déclenche des alertes. Les semelles sont adaptées à la morphologie des patients. L’objectif final est d’accompagner le patient sans être invasif** ».
* Une expérimentation a eu lieu à l’hôpital Georges Pompidou avec deux caméras grand angle (stéréoscopie) posées sur la tête du chirurgien confirmé.
** Depuis septembre, des mesures cliniques sont engagées avec la Salpêtrière.
Le rôle d’AXA
Céline Soubranne, secrétaire générale d’AXA Prévention, association à but non lucratif : « En tant qu’assureur santé, notre métier est de protéger nos clients et de les accompagner lorsqu’ils sont confrontés à une pathologie. Mais notre conviction est d’agir pour rendre les gens acteurs de leur santé et les inciter à adopter une hygiène de vie leur permettant de rester en bonne forme. La santé est donc au cœur de nos activité avec un positionnement fort autour des enjeux du bien vivre pour bien vieillir en bonne santé. Nous entendons agir sur les trois piliers d’une longévité heureuse : l’alimentation, l’activité physique et la stimulation mentale. Mais nous agissons aussi sur des pathologies liées au vieillissement telles que le diabète de type 2, le cancer et les maladies cardio-vasculaires. Pour faire changer les comportements, nous pensons qu’il faut inciter par la prévention participative et par l’humour : ainsi notre campagne digitale « coup de vieux » ou notre appli mobile Test forme incluant un podomètre, des conseils nutritionnels et des jeux de stimulation cérébrale. Nous développons en outre une démarche plus prospective avec une étude scientifique Inodiab grâce à laquelle on observe sur trois ans les comportements de patients diabétiques (observance, conseils par simples SMS). N’oublions pas qu’il y a en France environ 700 000 diabétiques qui s’ignorent… ».
Denis Briquet pour la FNIM