Le diabète dans la sphère de la santé digitale
Co-créée et co-animée par Denise Silber (Doctor 2.0 & You) et Carole Avril (DG de la Fédération française des diabétique), la première matinale Diabète 2.0, dont la FNIM était partenaire associé, s’est déroulée le 3 février à Paris dans l’auditorium AXA*. Un public très nombreux (environ 200 personnes) composé de patients, de proches, d’associations de patients, d’entreprises, de professionnels de la santé, de représentants des pouvoirs publics, tous impliqués dans « la santé digitale», a assisté à de multiples présentations allant du cadre juridique aux dispositifs et applis en passant par les serious games et les réseaux sociaux grâce aux exposés des patients et médecins spécialistes invités. Revue de détail.
Bref aperçu de l’univers de la « santé digitale », par Denise Silber, fondatrice et directrice de Basil Stratégies
« Dès l’apparition d’internet à la fin des années 90, le concept de la Communauté s’est très vite imposé dans l’univers de la santé digitale par l’intermédiaire de forums spécialisés santé ou médecine, puis par les blogs (2005) et enfin par les réseaux sociaux (2007). Ainsi la première communauté francophone spécialisée, Passeport Santé, date de 1998. Aujourd’hui, outre les communautés, la santé digitale propose deux types de produits nouveaux : les logiciels et les objets connectés.
Les logiciels sont essentiellement :
- les serious games (dont l’origine remonte au… XVIème siècle avec les serio ludere des humanistes) utilisés comme simulateurs par les professionnels de la santé et comme supports pédagogiques par les patients
- les innombrables applications mobiles (48 rien que pour le diabète).
Les objets connectés, eux-mêmes gérés par une appli mobile, sont en pleine croissance car ils concrétisent trente ans de recherche – sans remonter jusqu’aux combinaisons des astronautes. A titre d’exemple : les Google glass avec lunettes de précision ou les lentilles de contact Google surveillant le taux de glycémie, ou encore l’internet des objets avec la fourchette connectée qui alerte le patient diabétique dès qu’il accélère le rythme d’ingestion des aliments (on sait que manger lentement est conseillé aux patients atteints de diabète de type 2) ».
Le cadre juridique en trois questions, par Me Nathalie Beslay, avocat
1) Pour un éditeur d’appli mobile, comment se conformer au cadre légal ? « Premier point : de la qualification légale va dépendre un parcours réglementaire avec des mentions obligatoires, des obligations vis-à-vis des PS ou des patients. Deuxième point : la protection des données à caractère personnel lorsque les applis sont connectées à des serveurs (information aux utilisateurs et consentement). Troisième point : si les données sont produites et hébergées lors d’une activité de soins, de prévention ou de diagnostic, on doit faire appel à un hébergeur agréé de données de santé. Dernier point : encadrer l’utilisation des applis par une charte ou des conditions générales, bref par un texte contractuel qui explique à l’utilisateur ses droits et obligations ».
2) Quelle est la responsabilité d’un PS qui recommande l’usage d’une appli ?
« Il est responsable du choix qu’il va conseiller, donc il doit vérifier la pertinence de son choix par rapport au patient, la tester, l’informer sur l’appli retenue. Il doit aussi veiller à respecter le principe d’indépendance car un médecin n’a pas le droit d’être lié à une société commerciale ».
3) Quels commentaires juridiques peut-on faire par rapport aux communautés en ligne ? « Je recommande de mettre en place de la modération conforme aux obligations légales notamment lors de la mise en place d’un espace de libre contribution ».
Témoignages
Andrea Limbourg, présidente de l’AFD 75, a mis en place une communauté virtuelle on line : « J’ai toujours recherché le contact avec d’autres patients diabétiques. Si, à l’hôpital, on apprend à gérer techniquement le diabète, une fois rentré à la maison on se sent vite très seul parce que le diabète est présent 24h/24 et touche tous les aspects de la vie. On a besoin d’accompagnement, d’empathie, de partage du vécu. On peut bien sûr échanger dans le cadre des associations, mais ce n’est pas toujours pratique. Du coup, on se tourne vers internet pour y chercher du soutien et partager notre propre histoire à n’importe quelle heure de la journée ou de la nuit notamment par l’intermédiaire des échanges instantanés proposés par Twitter. Les tweetchats sur le diabète existent aux USA depuis 2010 et en France, grâce entre autres au soutien de Denise Silber, depuis la conférence Doctor 2.0 & You de juin dernier ».
Frédéric Paliwoda, Webmaster de VivreAvecUnDiabete : « Je vis non loin de Rodez et je suis géographiquement éloigné des locaux associatifs disséminés dans la région. Avec mes moyens d’amateur, j’ai donc commencé à apprendre et réaliser des pages web. Puis j’ai développé l’idée initiale de partage d’informations en créant des blogs, un podcast (format court audio) et de la vidéocast en ligne. Avec la vidéo, un moyen très vivant, je teste moi-même les produits, par exemple les détecteurs de glycémie ou les nombreuses applis mobiles dont il faudrait à l’avenir harmoniser les contenus. Comme je suis amateur, mes moyens restent limités, mais je m’applique dorénavant à améliorer les séquences de vidéo en ligne en essayant d’être plus professionnel dans les représentations ».
Séverine Bonnet, responsable Communication de l’AFD : « L’AFD a lancé il y a trois mois un site (« La pompe à insuline, parlons-en ! ») dédié à l’utilisation de la pompe à insuline. Ce site a été supervisé par un comité scientifique qui a validé le contenu et accompagné par Me Beslay pour la partie juridique. L’objectif est de faire connaître cette thérapie aux patients atteints de diabète de type 1 et 2. Aujourd’hui, on recense 35 000 personnes sous pompe, mais on pourrait imaginer qu’il y en ait deux fois plus. Depuis le lancement du site, la communauté compte 10 000 visiteurs. Le site comprend des contenus médicaux mais aussi des plateformes d’échange (Trois questions du mois, Témoignages et commentaires, Visioconférence en direct avec Q&R des internautes). J’insiste sur le fait que ce site ne se substitue pas à une consultation par un professionnel : le but est d’informer et d’accompagner les internautes ».
Exposés des professionnels de la santé
Le médecin et les outils chez le patient sous insulinothérapie complexe, par le Dr Guillaume Charpentier (Centre d’étude et de recherche pour l’intensification du traitement du diabète) : « La vie quotidienne des patients diabétiques sous insuline multi-injections est remplie de gestes fastidieux, matin, midi et soir. On s’est donc demandé si les nouvelles technologies pouvaient aider les patients à effectuer les calculs, trouver les bonnes doses, bref les aider à se prendre en main : on sait que le soutien motivationnel est capital pour les diabétiques qui à un moment ou un autre finissent par se lasser. On s’est aussi penché sur la possibilité pour l’électronique d’augmenter la disponibilité des médecins avec un télésuivi ciblé, de permettre la traçabilité des soins et enfin de dégager des économies. Dans un schéma classique de télémédecine, le patient envoie ses données à un soignant généralement débordé qui tarde à les prendre en compte. On a ainsi proposé que ces données personnelles remontent vers un logiciel de décision automatique formaté par le médecin, et c’est ce logiciel qui donne les réponses immédiatement au patient. Le soignant n’intervient que si nécessaire, par exemple en cas de soutien psychologique. Cette solution destinée aux patients diabétiques de type 1 et type 2 sous insuline en multi-injections ou pompe, qui se présente comme un e-Carnet, est une aide au calcul des doses d’insuline lente et rapide, et si les résultats ne sont pas bons, le système auto-améliore l’algorithme entré par les médecins. Ce système a été testé auprès de 180 diabétiques de type 1. Résultat : les patients équipés de Diabeo et bénéficiant d’un télésuivi font 1% de moins d’hémoglobine glyquée à partir d’un taux de départ de 9%. 1% c’est beaucoup : cela signifie par exemple une baisse de 30 % des risques de cécité. Enfin, le gros avantage de ce système, d’autres enquêtes l’ont montré, est qu’il bénéficie autant aux patients technophiles qu’aux patients peu attirés par la technologie ».
Le diabète gestationnel, par le Pr Jean-Jacques Altman (HEGP) : « Le diabète gestationnel (DG) est un diabète découvert pendant la grossesse. Il est détecté dans 10% des grossesses, ce qui représente environ 100 000 nouveaux cas/an. C’est donc un enjeu de santé publique (favoriser la prévention, objectif d’économies). Les complications qu’il entraîne concerne la mère (hypertension, accroissement des césariennes) comme le fœtus (macrosomie, c’est-à-dire poids élevé de plus de 4 kilos, grossesse et accouchement difficile, risques de prématurité et d’hypoglycémie). Une étude récente menée par nos services montre qu’avec des patientes suivies, il y a seulement 7% de taux de poids élevés contre 26% pour les patientes perdues de vue, 9% de taux d’hospitalisation du nourrisson contre 32%, 29% de césariennes contre 37%. D’où l’absolue nécessité du suivi et par voie de conséquence, le proposition d’une prise en charge télémédicale pour les femmes enceintes qui ont des difficultés d’accès aux centres de soins (distance, difficultés de déplacement, pénurie de MG). Autre aspect du DG : il est idéal pour la prise en charge télémédicale automatisée. En effet, il concerne des femmes semblables (jeunes, enceintes), nécessite les mêmes moyens thérapeutiques et vise les mêmes objectifs (glycémies normales). Quels sont les outils mis en place pour suivre ce diabète ? Un tableur glycémique interactif et plusieurs adresses dédiées (HEGP, Necker) afin d’échanger au moins chaque semaine un courriel pour adapter les doses d’insuline (parfois 6 changements thérapeutiques/semaine).
Il faut savoir que le diabète gestationnel est lourd de menaces à long terme. Ainsi, pour les mères, le risque de diabète de type 2 est multiplié par 7 et 1/3 d’entre elles deviendront diabétiques dans les 10 ans à venir ; pour l’enfant, il y a des risques augmentés de surpoids, de diabète et de cholestérol élevé. En conclusion, voici les trois points forts de la télémédecine appliquée au DG : une prise en charge efficace, une bonne solution contre l’éloignement et la précarité, une passerelle idéale pour la prise en charge préventive de l’épidémie de diabète de type 2 ».
Les serious games, par le Dr Aurore Guillaume, présidente de Zippyware, société qui conçoit et édite depuis 2007 plusieurs jeux destinés aux jeunes patients diabétiques de type 1. « Notre plateforme Gluciweb héberge plusieurs serious games. La plateforme et les jeux ont été réalisés par Zippyware en collaboration avec le CHU de Caen. Qu’est-ce qu’un serious game ? C’est un jeu vidéo dont l’intention n’est pas simplement de jouer mais aussi de transmettre des messages, de manipuler des informations afin d’optimiser des compétences sur des protocoles ou mécanismes complexes. Gluciweb héberge un quizz, le Méli mélo glucidique, sur le thème du repérage et du comptage de glucides, et deux jeux d’expérimentation. Le premier jeu, L’Affaire Birman, réalisé avec Sanofi**, le Ministère de la Santé et Accu-Chek, s’adresse aux enfants et adolescents avec un scénario ludique où le héros, diabétique, mène une enquête tout en gérant son diabète (contrôle, adaptation des doses d’insuline, activités physiques…). Lors de son évaluation auprès d’un jeune public, ce jeu a permis d’améliorer les connaissances pour le repérage des glucides, en particulier chez les jeunes filles. Le second jeu, Time out, réalisé avec Lily, le Ministère de la Santé et Medtronic, est un serious game dédié à l’éducation thérapeutique des jeunes adultes diabétiques de type 1 pour la manipulation de la pompe à insuline. Ce nouveau jeu, moins linéaire et plus complexe que le premier contient des événements déstabilisant le diabète (alcool, activité physique intense, repas pièges) et plongent le héros dans des situations proches de celles de la vie réelle où la gestion de la glycémie est essentielle ».
Evaluation des applications mobiles de santé dédiées au diabète, par le Dr Guillaume Marchand, cofondateur de la start up dmd Santé. « Nous sommes une plateforme d’évaluation collaborative et nous disposons actuellement de 3000 évaluateurs. La start up dmd Santé est composée d’un réseau de bénévoles non affiliés : nous faisons de la veille, de la catégorisation et de la sollicitation des usages potentiels. La méthode consiste à pondérer les critères (note sur 20) et à synthétiser le retour des évaluateurs (description des fonctions, analyse de l’appli, points forts et faibles). Pourquoi télécharger une appli mobile ? Pas tellement pour s’informer (seulement 15% des patients interrogés), mais plutôt pour le suivi quotidien. Qui édite les applis mobiles de santé ? Dans les deux tiers des cas, ce sont des éditeurs professionnels, puis les particulier et les PS (20%) et enfin, minoritairement, les associations (8%) et entreprises du médicament (seulement 4%). S’agit-il d’une activité lucrative ? Non. Si 40% des applis sont payantes, le prix moyen est de 2,50€, soit le prix d’un café pour une appli d’excellente qualité. Quelles sont les meilleures applis ? Ce sont toutes des applis dédiées au suivi, notamment au suivi du diabète de type 1 (62,5% des applis du marché), et minoritairement les applis de scoring (10%) ».
Denis Briquet
*AXA, premier assureur mondial et principal soutien de la matinale Diabète 2.0, est très impliqué dans le secteur de la santé numérique. Pour Didier Weckner, DG AXA Solutions Collectives, « protéger au mieux le capital santé des individus n’est imaginable qu’en partenariat avec les entreprises ou professionnels de santé. Le monde étant devenu digital, aucune de nos activités ne peut l’ignorer : patients et assurés utilisent les médias électroniques pour accéder à l’information. Ainsi AXA développe deux grandes applications mondiales, l’une concernant la prévention, l’autre les parcours de soins à travers l’accès facilité à des plateformes ».
**Pour sa part, Sanofi, partenaire de l'événement, s'engage à aider les patients à prendre en charge cette maladie complexe qu'est le diabète, en proposant des solutions innovantes, intégrées et personnalisées. Pour Claire Viguier-Petit, Directeur des Opérations Diabète, Sanofi : « notre expérience nous a appris que peu importe le degré de complexité et le statut de la solution mobile (dispositif médical ou non), la règle d'or est avant tout de travailler en mode collaboratif, dans le respect des normes de qualité, avec pour point de départ une écoute et une compréhension fines des besoins des patients et des soignants ».